Baroudeurs

Hier nous avons déjeuné avec B&M, nous profitons de leur court séjour en France pour les voir.
B&M, je les connais depuis le lycée.
Après le bac, B s'est orientée vers l'anglais, M vers la géographie.
Nous avons fait "nos années fac" ensemble, je me suis arrêtée avant eux.
Après le bac, ils sont partis sac à dos en Inde.
Je crois que tous les copains étaient admiratifs devant leur courage.
Beaucoup d'autres pays ont suivi, toujours des pays non occidentalisés, qui pour la plupart d'entre nous inspiraient une certaine appréhension.
C'étaient "les baroudeurs" de la bande. 
Les projections de diapos étaient un plaisir pour les copains, comme nous, qui, à l'époque ne voyagions que peu.
Nous découvrions un peu le monde à travers eux.
Diplômes en poche, ils ont cherché du travail.
En avril 1982, le jour où je leur annonçait que Jean-Jacques et moi avions fabriqué un futur bébé, ils nous annonçaient qu'ils partaient pour Bagdad où l'on avait proposé à M un travail intéressant dans les transports internationaux.
Bagdad, Irak, en pleine guerre Irak/Iran.
Cela ne les effrayait pas.
Nous avons eu de la peine de les voir partir, nous étions très liés.
Jean-Jacques & M étaient tous les deux un peu "tête brûlée", ils avaient le projet de faire un jour "le Dakar" ensemble, entre autres.
C'est eux qui nous avaient initiés à la photo, M avait été primé à quelques concours photo.
Mais nous savions qu'ils n'étaient pas faits pour une "petite vie tranquille" en France.
Nous avions des nouvelles régulièrement, Bagdad était calme, agréable.
La censure faisait que nulle information ne leur arrivait.
Lors de leurs passages en France ils s'informaient sur ce qui se passait là-bas.
Après l'Irak, ce fut l'Indonésie, Jakarta.
B n'y avait pas de travail, alors qu'en Irak, grâce à son anglais, elle avait pu travailler dans une entreprise multinationale.
Mais elle s'y plaisait.
Leur premier fils s'y était fait plein de copains.
Quand ils rentraient en France, le petit Cédric parlait un peu français, un peu anglais, un peu indonésien.
Puis Singapour.
Ils ont apprécié ce pays atypique au milieu de l'Asie.
A notre étonnement, ils sont revenus en France, près de Lille.
Je crois que B était contente de retrouver un peu son pays, la proximité avec ses proches, mais M ne se plaisait pas dans le Nord, et avait pris goût au travail dans des conditions plus difficiles.
Ils sont repartis rapidement pour Tunis.
Là je me suis enfin décidée à aller les voir.
Jusque là, malgré leurs invitations, je me cantonnais toujours aux pays occidentaux.
Je suis devenue plus "aventurière" en prenant de l'âge, heureusement.
Ils habitaient une superbe maison toute en faïence à La Marsa.
B travaillait à l'école française, M m'a un peu promenée dans Tunis.
Il m'avait conseillé un loueur de voitures car je voulais partir 3 ou 4 jours plus au sud, mais je n'ai pas eu le courage de conduire là-bas, au milieu d'une circulation assez désorganisée.
Les taxis collectifs, le bus et le train m'ont permis de me balader quand même.
Puis la Turquie, Istanbul.
Je crois que c'est ce qu'ils ont préféré.
J'y suis allée.
B travaillait au lycée français à Galatasaray.
Ils habitaient le quartier le plus agréable d'Istanbul: Ortaköy.
De là, tous les matins je prenais un taxi pour d'autres quartiers de cette ville immense et j'ai découvert ce joyau, qui, 2 autres visites plus tard, m'enchante toujours.
Cédric était déjà parti faire ses études en France, puis à New York.
Patrice plus tard, est parti pour Paris, puis Buenos Aires, puis Valencia.
Leurs deux garçons sont, je pense, plus armés pour la vie que ne le sont ceux qui n'ont pas "bourlingué".
Cette vie a été une chance pour eux.
B&M sont repartis pour la Malaisie, Kuala Lumpur.
Cette ville est parait-il gigantesque, un peu comme une grosse pieuvre.
Puis, de nouveau, Jakarta.
Et là, mon amoureux et moi, on s'est dit: "on y va!"
C'est comme cela que l'an dernier nous avons découvert l'Indonésie.
Jakarta bouillonnante, une sorte d'enfer de bruit et de fumée, une circulation démente.
Yogyakarta, l'ancienne capitale, bruissante aussi, mais où l'on se sent moins perdu.
Prambanan, Borobudur, le plus ancien temple hindouiste du monde.
Les volcans de l'Est, le Bromo, l'Ijen, qui se méritent...
Puis Bali la belle, la sereine.
Ce fut pour nous, qui avions commencé depuis quelques années à voyager pas mal, la découverte d'un "pays du sud", d'un pays à l'opposé de notre civilisation.
D'un pays où les gens n'ont rien mais sourient.
D'un pays où l'on ne vit pas chacun pour soi.
Une belle aventure.
B&M ont toujours fait partie de ma vie, même loin.
Ils sont toujours restés les mêmes.
Quand nous nous retrouvons, c'est toujours comme si l'on s'était quitté la veille.
Leur vie fait d'eux des gens ouverts, tolérants, pas du tout imbus d'une réussite professionnelle avérée.
Dans quel pays iront nous de nouveau les voir?