8 juin 2025

Quand le bonheur des autres donne un plaisir fou

 

Jean Noël, mon Filou

 

        En 1994, j’ai connu par hasard un archéologue fouilleur. Le courant est passé très vite entre nous, et il est devenu mon Ami avec un grand A, comme je crois être devenue son Amie.

Je le considère même comme petit frère de cœur, moi qui suis fille unique.

De mes proches, il est certainement celui qui connait le plus de choses sur moi. Et je crois que je connais pas mal de choses sur lui, mais je ne dirai rien !

Je vous dirai juste que nous avons fait une mémorable croisière tous les deux dont nous nous souviendrons toute notre vie, où nous avons parfaitement joué la comédie du parfait amour. Le Napoléon Bonaparte et le Discofolies resteront gravés dans nos mémoires.

        Nous étions tous les deux dans une période sentimentale très, trop, calme, au début des années 2000. C’était mon compagnon de concerts. C’est aussi celui qui m’a oubliée une fois au bord de la route.

Puis, un jour où j’allais le voir à la clinique, un visiteur est arrivé. Un jeune homme charmant, sympathique. Il s’appelait Jean-Noël, et je crois pouvoir dire que je suis la première à avoir fait sa connaissance.

Quelques temps plus tard, un vendredi soir, nous passions la soirée chez une amie commune, avec Filou et deux autres copines. Jean-Noël était annoncé, j’étais la seule à l’avoir déjà vu.

Jean-Noël est arrivé, dans ses petits souliers, sachant qu’il était scruté avec attention. Mon impression première s’est confirmée : c’était quelqu’un de bien !

Les années ont passé, nous nous sommes vus souvent à 4 ou plus, et nous avons apprécié toujours un peu plus JNo.

Et j’ai senti mon Filou de plus en plus heureux, épanoui.

Son bonheur me faisait un bien fou.

Certes, on ne peut pas dire qu’ils se ressemblent tous les deux !

Filou rêve, papillonne. JNo a les pieds sur terre, il organise.

L’intérieur de JNo est un modèle de dépouillement, l’intérieur de Filou est une explosion de couleurs.

L’intérieur de JNo est calme, chez Filou il y a toujours en fond sonore de la musique.

J’admire la patience de JNo quand, en vacances, Filou visite les sites antiques, et aux aurores, parce qu’il faut y être avant les touristes. Sa patience devant la nouvelle marotte de Filou : les vinyles, qu’il traque dans les bourses d’échanges.

Il y a quand même des points qui les rassemblent : la plage, la Corse. Le fameux camping corse où Filou peut se perdre, tandis que JNo prépare minutieusement le repas ou les activités de la journée.

Leur amour longtemps caché est peu à peu devenu connu des proches.

Cet amour, tout ce qui les unit, me touche profondément.

Et d’en voir la concrétisation, par un bout de papier qui a une sacrée importance, me fait un plaisir fou.

Je vous souhaite du bonheur comme s’il en pleuvait !

 

 

9 mai 2025

Vacances Ibériques

 

Voyage Ibérique

 

       Arrivés samedi 26 avril, et pour une fois ce 26 avril a été moins noir. Merci mon amour.

Le quartier de l’hôtel est cosmopolite, délabré par endroits, mais pas désagréable.

Une bonne trotte à pied pour arriver Praço do Commerço.

Beaucoup, beaucoup de monde. Et le Tage au bout.

Lisbonne est moins sinistrée qu’il y a 11 ans.

Resto superbe (prix aussi), et calamar grillé à point.

Un taxi pour le retour à l’hôtel, la remontée on ne la sentait pas.

Aujourd’hui 27 avril, nous avons pu prendre le 28 près de l’hôtel. Mais dans le sens « Pombal », près du terminus, pour pouvoir le prendre dans l’autre sens. C’était sans compter sur la cinquantaine de personnes qui faisaient la queue…

Donc, direction l’Alfama à pied. Un élévador bien caché nous évite une partie de la montée, et nous voilà au kiosque au-dessus de l’Alfama où je venais lire en buvant une orange pressée il y a 20 ans, quand je venais de rencontrer Philippe et que je ne savais pas encore que c’était mon dernier voyage en solitaire.

Arrêt obligé, puis petit resto touristique mais simple à côté.

Descente des escaliers et des ruelles de l’Alfama, qui sait qu’il est devenu un quartier recherché par les touristes. Les boîtes à clés y fleurissent.

On longe une grande rue moche pour aller vers le musée des azulejos. Puis, à un tiers du parcours, un bus passe et nous mène au musée.

Superbe ce musée, on en prend plein les yeux. Des azulejos de tous âges, des modernes, des religieux. Beau travail !

Et le jardin du musée avec une eau à bulles. Fatigués mais contents.

 

Philippe :

Musée des azulejos dans un ancien couvent. Très agréable visite. Beaucoup de touristes alors que nous ne sommes qu’en avril.

Les 26° sont très agréables. Quartier de l’Alfama retrouvé 11 ans plus tard. Le kiosque est toujours là, mais plus de jus d’orange.

Le 28 est toujours aussi blindé de touristes, et le prendre au terminus c’est l’assurance de perdre une heure.

Si on allait au Hard Rock Café ?

 

 

Lundi 28 avril :

Ce matin le 28 pas trop blindé jusqu’à son terminus provisoire : « Camoes ». Une place dont je me souvenais bien, un kiosque, un jus d’orange, un café.

Balade, photos, re-kiosque (un autre), on flâne, on profite des nombreux points de vue.

Puis on cherche un endroit pour manger une bricole, selon notre précepte de voyage économique : un seul vrai repas resto par jour. On trouve : 2 sandwichs, 2 eaux pour 7,20€.

Puis on va demander un café : pas de café. On pense que c’est parce que c’est le coup de feu, c’est plein à craquer et ils servent en priorité la nourriture que l’on choisit au comptoir.

Autres bars : café, non ! 5 fois !

Le téléphone ne veut plus envoyer les WhatsApp.

Un 28 vide, arrêté. Il nous dit qu’il n’est pas en fonctionnement.

Le marché des quais tout vide, tout éteint.

On prend un taxi pour revenir dans le centre vivant, pleins d’interrogations. Et la radio du taxi nous informe d’une panne géante d’électricité.

Praço do Commerço, on s’assoit pour boire un pot. Des français à la table à côté nous en disent plus : panne générale d’électricité en Espagne et au Portugal. Durée indéterminée, forcément. Le serveur nous le confirme.

Un texto pour prévenir Joan et le téléphone passe en mode avion pour préserver la batterie.

Heureusement, les jours sont longs !

 

 

Philippe :

Ce matin nous avons rusé et réussi à monter dans le 28. Et à s’y asseoir !

Arrivés à la place Camoes, un petit jus d’orange en regardant passer les tramways.

Promenade sur les hauteurs et arrêt kiosque à côté du musée de la pharmacie.

L’air est calme, le monde si tranquille en ce lundi 28 avril.

Pour déjeuner, nous avisons un bouclard légèrement surpeuplé, et mangeons pour 7€.

Le café est à 0,80€, mais nous ne l’aurons pas et notre portugais ne nous permet pas de comprendre pourquoi.

Dehors les tramways sont arrêtés un peu partout, avec quelquefois le conducteur qui bouquine tranquillement.

Après une pause sur l’herbe au bord du Tage, le Mercato. Tout noir.

Dans le taxi tout s’explique d’un coup : c’est la Coupure !

 

 

29 avril

Sintra, où nous sommes venus avec notre Nissan Juke de chez Avis.

Hier remontée à l’hôtel à pied. Taxis : niet. Un VTC nous demande 40€, je le traite de voleur.

Foule dans le centre et peu de choses à manger : une planche de tapas à payer en cash.

En fait plus grand-chose de possible quand l’électricité n’est plus…

Lecture à l’hôtel tant que la lumière du jour le permet.

Oui, je l’avoue, j’ai paniqué, imaginé des scenarii pour la suite du voyage.

Dodo à 21h30, merci les aides à dormir.

Vers 22h50 : Fiat Lux ! Heureuse !

La vie a repris son cours. Voiture manuelle, on n’a plus l’habitude. Sintra très belle mais très touristique.

 

1er mai :

Sans manif…

C’est « un peu » férié ici.

Sines, au bord de l’eau, sans doute très animé l’été.

Setubal m’a plu, enfin, juste le centre ancien. Un charme particulier qui semble authentique.

Hier, Evora, classé à l’Unesco.

D’abord un petit resto local, puis on trouve la partie touristique, et donc animée. Boutiques, restos, du charme.

Petite fraîcheur et petite pluie.

Ce matin soleil. Vers l’Algarve.

 

 

Philippe :

Peixena grelha. Resto que nous avons trouvé à Sines, en allant vers l’Algarve.

Setubal : centre ancien petit mais sympa. Dans une ville tentaculaire. Curieux !

La Nissan Juke est très agaçante avec ses alertes de vitesses et de tout. Les 38T me collent si je respecte les vitesses indiquées. Désactiver impérativement les alertes, quelle plaie !

 

 

 

21 avr. 2025

Vacances

 

Comme tous les ans à peu près à la même époque, nous sommes dans les préparatifs du « long voyage » de l’année.

Depuis quelques années ils sont moins lointains car je n’étais pas assez sereine pour partir loin, l’état de santé de maman me faisait toujours craindre l’obligation d’un retour rapide. En fait, l’Europe était notre frontière. Bon, d’accord, le Labrador n’est pas en Europe, mais ce voyage là il fallait l’attraper au vol.

Depuis quelques années, lors des semaines précédant le départ, c’était « l’organisation de mon absence » pour maman.

L’an dernier c’était moins compliqué. Etant en maison de retraite, je savais qu’il y avait toujours du personnel médical autour d’elle, et qu’ils pouvaient prendre en charge les soins d’urgences et leur suivi. Je demandais simplement à une association (Petit fils) de venir voir maman plus souvent que le reste de l’année.

J’ai le souvenir de la mise en place de l’assistance, en faisant appel à des personnes de confiance qui pouvaient prendre des rendez-vous, l’accompagner, bref, pourvoir à tout ce que je faisais le reste du temps. Avec préparation de feuilles de renseignements pour toutes les personnes susceptibles d’intervenir auprès de maman.

Et malgré tout cela, je ne me souviens plus de la dernière fois où je suis partie en toute sérénité. Et pourtant j’avais une mère compréhensive qui acceptait, avant de loger en résidence sénior, de passer un mois en maison de retraite pendant notre absence.

Cette fois, la destination nous l’avons choisie assez proche, maman était encore de ce monde.

Depuis maman est partie. Je pars triste mais sereine.

Bon, pour que ce ne soit pas trop facile quand même, je développe une belle otite à moins d’une semaine du départ. Ça doit être pour compenser… Mais, malgré le jour férié, j’ai trouvé le médecin miracle qui m’a donné de quoi la soigner.

Donc, cette fois, pas d’organisation à mettre en place.

Comme chaque fois, je donne à mon fils le déroulé de nos étapes. Les infos sont quelquefois alarmantes sur ce qu’il peut se passer dans tel ou tel endroit, et je veux lui éviter tout souci inutile.

Et, bien sûr, demander aux amis simianais de venir nourrir nos chats ! Chats qui trouvent que l’on part un peu trop souvent !

Et, sans doute parce que j’ai l’esprit plus léger, je ne réalise pas que la semaine prochaine nous serons en train d’arpenter les quartiers, les ruelles de Lisbonne, de l’admirer en circulant dans le fameux 28, de boire notre café accompagné d’un pasteis. Et puis de prendre notre voiture de location pour aller vers l’Algarve, vers Séville, vers Salamanque, vers Porto, vers Coimbra, en prenant le temps de revoir tout ce que l’on avait entrevu trop rapidement il y a plus de dix ans, en comptant sur une douce température favorisant les balades et les découvertes.

Et je me dis que cette année encore, malgré l’âge qui avance, nous avons cette curiosité de la découverte. Que cette curiosité, et la forme qui va avec, nous l’aurons encore pour de nombreuses années. Il y a tant d’endroits que nous n’avons pas encore vus, tant d’endroits que nous avons vus et où l’on rêve de retourner (Istanbul la belle, tu nous manques).

Et ces voyages, j’ai la chance de les faire avec l’homme que j’aime et qui avance au même rythme que moi. Qui ne fait pas la course aux musées, qui apprécie les moments de flâneries dans des quartiers sympathiques, qui ne fixe pas de timing inflexible, qui est prêt à changer le plan de la journée si on est vraiment bien quelque part.

Sur ce, ma valise, qu’une fois de plus je me promets de faire la plus légère possible, ne va pas se faire seule, et je vais donc la préparer tranquillement.

 

2 mars 2025

Pour maman

 

Maman, je savais que ce jour était proche. Il est arrivé. Ce jour où tu vas rejoindre le beau militaire catalan qui t’a séduite au bal de Barcelonnette il y a pas mal d’années.

Tu as passé ta jeunesse dans ce beau hameau de Costeplane que tu aimais tant, même si la vie n’y était pas tous les jours facile. Tu y as été entourée d’amour. Il y avait beaucoup d’amour dans la famille Fabre.

Et puis tu l’as épousé, ce beau militaire qui ne l’était plus, et c’est grâce à vous que je suis là, que Joan est là.

Vous avez vécu 54 ans ensemble, sans pouvoir vous passer l’un de l’autre bien longtemps. Puis tu as appris la vie sans papa.

Moi je me souviens d’une maman juste, aimante, toujours à l’écoute. Une maman qui détectait tout de suite les mensonges que je pouvais dire, et il suffisait que tu me fasses les gros yeux pour que je me tienne tranquille.

Une maman à qui, adolescente, j’ai pu confier mes premiers amours et qui m’a toujours comprise. Qui me défendait auprès de papa qui voyait sa fille unique lui échapper.

Nous avons toujours été proches mais tu m’as laissé ma liberté d’adulte sans me juger même si j’avais du mal à rester en place. Je savais que tu pouvais tout entendre, et je te remercie pour l’ouverture d’esprit dont tu as toujours fait preuve.

Tu m’as appris la générosité, car généreuse tu l’étais profondément.

Je me souviens de ta joie quand je t’ai dit que tu allais être grand-mère, et je me souviens de ta présence à mes côtés pendant les premiers jours de la vie de Joan.

Vous étiez des grands parents formidables, Joan était toujours heureux de partir avec vous dans tes Alpes ou dans nos Pyrénées catalanes.

En 1997, vous avez été là quand le papa de Joan est parti, bien trop tôt. Vous étiez toujours là, pour lui, pour moi.

Ma tête est remplie de souvenirs heureux.

Quand je venais travailler à Salon et que tu te faisais une joie de me préparer un bon déjeuner.

Quand toutes les deux nous faisions les boutiques dans Marseille puis dans Salon.

Quand tu as pris l’avion à mes côtés pour la première fois de ta vie, et que nous avons passé une semaine en Turquie. Je te revois dans le magnifique décor de Pamukkale, tu étais émerveillée comme moi. Et dans les marchés turcs, tu étais comme une enfant qui découvre des choses que tu n’avais pas l’habitude de voir.

Tu étais heureuse dans ton jardin de Pélissanne, où tu n’as jamais voulu que papa mette l’arrosage automatique car tu aimais arroser toi-même tes tomates, tes fleurs.

Et puis cette maison de Pélissanne est devenue trop grande pour toi, avec un étage dangereux. L’âge te rendait moins sûre de toi.

Tu as accepté, pour nous rassurer, d’intégrer une résidence sénior à Aix où tu étais plus en sécurité.

Je me suis occupée de plus en plus de toi, et c’était bien normal. Par moment tu étais un peu perdue. Le monde avançait plus vite que toi.

Puis, la dernière étape, car ta tête avait des absences fréquentes : le Domaine des Oliviers où tu as vécu ta dernière année.

Tu y as été entourée d’un personnel soignant que je ne saurais jamais assez remercier.

Tu disais souvent qu’il était temps de rejoindre papa, et voilà que tu vas le retrouver.

Maman, je t’aime, mes parents je vous aime, vous serez toujours dans ma vie et dans mon cœur.

 

 

4 févr. 2025

Maman

 

J’ai eu la chance de grandir entre deux parents aimants, des parents à qui je n’ai rien à reprocher, même si à l’adolescence il y a eu quelques tensions.

Des parents qui ont toujours fait ce qu’il faut pour moi, sans en faire trop.

Je sais que « fille unique » va souvent avec égoïste, mais mes parents m’ont appris le partage et je ne crois pas avoir les défauts que l’on sous-entend quelquefois derrière cette expression.

Mes parents étaient unis, même si quelquefois le ton s’élevait un peu. Ils ont toujours été là l’un pour l’autre, et l’un pour la famille de l’autre.

A 18 ans j’ai découvert la liberté, même si j’étais assez libre jusque-là.

La fac à 40km avec une chambre que je partageais avec mon amie.  Pas de portable, pas de surveillance. J’en ai profité de cette liberté. Mais je crois que j’étais assez raisonnable pour ne pas aller trop loin, même si maman devinait quand Jean-Jacques m’avait rejointe à Aix…

A 20 ans j’ai pris mon indépendance totale, et j’ai vécu avec l’homme que j’aimais. J’en avais envie de cette indépendance, mais mes parents étaient proches, nos relations étaient bonnes.

Et quand ils sont devenus grands-parents, ils étaient les plus heureux du monde. Et ils ont été très présents pour Joan, l’emmenant en vacances aussi souvent qu’ils le pouvaient.

Je les remercie de ne jamais être allés contre l’éducation que son père et moi lui donnions.

J’ai mené ma vie d’adulte, avec les hauts et les bas qu’elle m’a imposés.

Mes parents n’ont pas toujours compris ma période d’errance entre le décès du père de Joan et la rencontre avec celui qui m’a apporté à nouveau la stabilité. Mais ils acceptaient, je crois qu’ils me faisaient quand même assez confiance. Je sais que papa disait à maman « ne t’inquiète pas pour ta fille, elle est dégourdie, elle sait se débrouiller ».

Mes parents ont vieilli. Papa a eu trop tôt des problèmes cardiaques.

Il est parti des suites de ces problèmes en août 2009.

Ça a été assez rapide, je ne l’ai pas vu trop diminué, et la dernière image que j’ai de lui est un visage souriant. C’est cette image que je garde, ce beau visage sur lequel l’âge n’avait pas fait trop de dégâts.

Maman a été veuve à 78 ans.

Elle a été courageuse et a pris ses marques dans cette nouvelle vie, alors qu’ils n’étaient jamais séparés.

Elle est restée alerte longtemps, elle marchait beaucoup, elle jardinait, c’était son grand plaisir.

L’habitude s’était instaurée de se retrouver chez elle un samedi sur deux, Joan, Philippe et moi. Et je l’appelais quasiment tous les jours.

Elle avait plaisir à nous recevoir et nous préparait ce que l’on aimait. Nous repartions toujours les bras chargés.

Et puis il y a eu un samedi où on l’a trouvée fatiguée.

On s’est dit, pour se rassurer, que c’était momentané. Elle avait 85 ans.

A partir de là nous l’avons vu décliner doucement.

A 88 ans, elle a admis qu’elle ne pouvait plus vivre seule dans une grande maison avec un étage.

Quelquefois elle devait faire appel aux voisins, qui étaient heureusement adorables, parce qu’elle ne pouvait plus tout faire toute seule.

Nous avons la chance de trouver une résidence pour séniors où elle avait son petit appartement mais pouvait prendre ses repas en commun avec les autres résidents, participer aux activités proposées.

Même s’il a été dur pour elle de quitter la maison où elle vivait avec papa, elle s’est tant bien que mal adaptée à cette nouvelle vie, différente.

Et moi j’étais rassurée. Si je ne pouvais pas la joindre, je pouvais toujours appeler l’accueil qui me renseignait.

Peu à peu, elle a perdu pied. Je m’occupais de tout pour elle, les rendez-vous médicaux ou autres. Mais c’était normal pour moi. Elle s’était occupée de moi, les rôles s’inversaient.

Après quelques chutes, des pertes de mémoires de plus en plus fréquentes, et une santé déclinante, j’ai pris une difficile décision, en accord avec Joan et Philippe : il fallait qu’elle soit dans un établissement où l’on s’occupe d’elle.

J’ai visité de nombreuses maisons de retraite dans le secteur. Des très belles que nous ne pouvions pas payer… Et nous avons eu l’immense chance de trouver une place à la maison de retraite publique de Gardanne.

Pour moi, c’était un mélange de culpabilité et de réconfort.

Maman, après quelques réticences, a admis que l’on s’occupait bien d’elle.

Sa mémoire s’est dissipée à grande vitesse.

Petit à petit, elle a revécu dans son enfance. Dans son village perdu qu’elle aimait tant. Nous étions assez déstabilisés par ses propos, puis nous avons compris qu’elle était avec nous dans une autre dimension.

Je disais, quand on me demandait des nouvelles de maman : physiquement elle va bien, mais sa tête est partie ailleurs.

La psychologue de l’établissement m’a aidée à accepter cette évolution vers ce que l’on appelle durement la démence sénile.

Elle était toujours heureuse de me voir, de nous voir. N’avait pas la notion de quand nous étions venus la dernière fois.

Elle a ramené son petit fils à l’état de petit garçon et s’inquiétait beaucoup pour lui. Elle ne me croyait pas quand je lui disais qu’il était adulte et se débrouillait très bien.

Et puis, un dimanche après-midi ensoleillé, on m’a appelée pour me dire qu’on devait l’hospitaliser car elle perdait l’équilibre et était très fatiguée.

Et depuis maman est une autre.

Après un premier passage aux urgences, on a parlé de crise neurologique. Je suis allée la voir au plus vite, j’ai vu une petite vieille dame courbée qui marchait d’un pas très lent.

Deux jours après, nous sommes allés la voir avec Joan. Et l’aide-soignante nous dit que si on voulait la promener un peu elle allait nous aider à la mettre dans un fauteuil roulant. J’ai demandé « elle ne marche plus ? ». Non, elle ne marchait plus.

Un AVC a dû se produire dans la nuit, qui l’a rendue partiellement paralysée du côté gauche.

Heureusement que Joan était là, moi j’étais en morceaux.

Nous avons poussé le fauteuil, essayé de parler un peu, de l’intéresser à diverses choses. Puis nous l’avons ramenée dans le service. Sa tête tombait de fatigue.

On nous a dit qu’on allait lui donner de l’eau gélifiée car elle risque de ne pas pouvoir déglutir normalement.

Heureusement, les deux hommes de ma vie étaient là.

Je n’arrivais pas à croire à ce qui arrivait, à ce qui lui arrivait. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Je suis retournée la voir avec Philippe. Nous avons poussé son fauteuil. Son bras inerte était posé sur un coussin.

Maman ne se plaint pas, le personnel nous dit qu’elle est volontaire pour essayer de manger seule, qu’elle est « sage ».

Effectivement elle ne comprend pas ce qui se passe, pourquoi son état a changé. Mais elle l’accepte et ne se plaint pas.

Et moi je réalise que maman est devenue un être fragile qui peut partir du jour au lendemain.

Elle aura bientôt 94 ans.