Aujourd'hui je déjeune avec Jo et Mi, 2 anciennes "collègues de travail" avec qui j'ai gardé des relations quasiment amicales.
Rares sont les relations de travail que je fréquente, hormis celles que j'ai connues à travers le militantisme syndical.
Mais Jo et Mi c'est différent, nous avons commencé à peu près en même temps notre "carrière", et nous avons la même vision de ce qu'est notre "métier".
Depuis mars 1978 je suis employée de banque.
Je ne suis pas rentrée à la banque par goût, mais il se trouve que c'est le premier poste qui s'est présenté à moi quand j'ai décidé, sur un coup de tête typique de mon caractère d’âne catalan, d’arrêter mes études de psycho.
Et à l'époque, "travailler à la banque" c'était quelque chose!
Presque un gage de moralité, d'intelligence, et puis il se disait qu'à la banque on gagnait bien sa vie.
Bref, quand j'annonçais ma profession j'inspirais confiance.
Pour la petite histoire, mon père travaillait dans le même établissement bancaire, où il était cadre supérieur.
Si j'ai su qu'il y avait un poste libre, c'est par lui, mais si j'ai été embauchée c'est parce que j'ai réussi les tests d'embauche.
Et nous étions 2 sur 8 à les réussir.
Je n'ai jamais voulu avoir une position de "pistonnée", et j'ai demandé à papa de ne jamais intervenir dans ma carrière.
Au début, dans l'agence de Miramas, où justement travaillait déjà Jo, je me sentais bien.
Le directeur ne m'aimait pas parce que l'ancien directeur était justement mon père, et que les clients, en majorité, le regrettaient.
Jo avait été secrétaire de mon père.
Le jour où je lui ai annoncé son décès elle était en larmes.
Puis au bout d'un an j'ai obtenu ma mutation pour Istres où Jean-Jacques travaillait, et j'y suis restée 10 ans.
Comme en ce temps là on embrassait une carrière pour la vie, j'ai voulu la faire évoluer.
J'ai passé le "brevet de banque", avec succès.
Peu de femmes le passaient, et le réussissaient.
En 1981 j'étais la seule femme de la région à le décrocher et j'avais eu les félicitations du grand patron régional.
Papa était fier. Moi aussi.
Avec ce sésame j'ai décidé d’obtenir un poste de commerciale.
Et j'ai fini par l'avoir, grâce à un directeur qui a oeuvré pour que je l'ai.
Quand j'ai eu le statut de "chargée de gestion" (appellation de l'époque), il m'a fait comprendre que je devais m'habiller plus sexy pour attirer le client.
J'étais jeune et fraîche, mais j'ai toujours préféré le "pantalon - talons plats" à la "jupe courte - talons hauts".
Premier couac.
Je n'ai rien changé de mes habitude vestimentaires.
J'étais appréciée des clients, en témoignaient les nombreux cadeaux que je recevais.
Mais voilà, je passais trop de temps avec les clients qui "n'en valaient pas la peine". Les fauchés, ceux qui avaient besoin qu'on les aident en fin de mois.
On me l'a reproché.
Mon directeur m'a fait comprendre que si j'étais gentille avec lui tout cela pouvait évoluer différemment.
J'ai connu le harcèlement à une époque où l'on n'en parlait pas.
Le jour où l'on m'a refusé une augmentation en me disant que je n'étais pas là pour faire l'assistante sociale, j'ai rendu mon tablier de commerciale.
Les années qui ont suivi ont été difficiles. Dépression. Mi-temps.
Puis j'ai eu le poste le plus convoité de tous ceux qui ne craignent pas le changement: équipière volante!
Aller d'une agence à l'autre au gré des besoins.
Etre toujours bien accueillie puisque justement on avait besoin de moi.
M'intégrer sans problème dans certaines équipes, plus difficilement dans d'autres.
Ne pas connaître la routine.
Et être largement défrayée de mes frais de repas et de déplacements.
En 1997, le directeur de l'agence de Port de Bouc, avec qui j'avais eu l'occasion de travailler, m'a demandé de me "sédentariser" dans son agence.
J'ai été flattée qu'il pense à moi et j'ai accepté.
Mi travaillait, et travaille encore, à Port de Bouc.
Equipe sympa.
Clientèle très cosmopolite et absolument adorable.
Des plateaux de gâteaux à la rupture du ramadan.
Des régimes de dattes quand ils rentraient du bled.
J'aimais ce que je faisais.
J'aimais la relation que j'avais avec les clients.
Ce sont mes derniers bons souvenirs d'employée de banque.
J'ai adhéré au syndicat qui m'avait obtenu une augmentation.
Petit à petit mes heures de mandats syndicaux augmentaient.
J'ai fini par avoir un poste de permanente au Comité d'Etablissement à Aix.
Je n'étais pas au bon syndicat.
En désaccord total avec leur façon d'oeuvrer pour obtenir des passe-droits.
En désaccord total avec la personne avec qui je devais partager mon bureau et qui ne pensait qu'à se mettre en valeur.
En février 2004 j'ai rejoint les rangs de la CGT.
Je m'y suis sentie bien.
J'ai été de nouveau équipière volante, mais de plus en plus rarement car mes mandats syndicats, et puis plus tard celui de conseillère prud'homale, me prenaient presque tout mon temps.
Toutefois je reste proche des salariés, des commerciaux.
Et ce que j'ai connu n'a rien à voir avec ce qu'ils connaissent.
Salaires dérisoirement bas.
Objectifs de vente difficiles à atteindre.
Humiliation de la part de certains "managers" (horrible mot) envers les moins performants, ou simplement envers les têtes de turc, ceux qui osent s'exprimer.
Tout est chiffre, plus rien n'est humain.
Le client est un objet à essorer jusqu’au dernier euro.
Le harcèlement est devenu monnaie courante.
Les petits chefs se sentent investis d'une mission de la plus haute importance.
Et les actionnaires se gobergent tandis que nos augmentations sont proches du zéro.
Je ne suis plus du tout fière de dire que je suis employée de banque.
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