Des rires dans la cour. Mon amoureux et mon fils jouent aux
boules.
Ce qui n’est pas une activité habituelle, ni pour l’un ni pour
l’autre !
Philippe aurait bien fait le concours de boules de la fête du
village si, au lieu d’y aller à 14h, il y était allé à 13h, heure des
inscriptions. Quelle idée de mettre les inscriptions si tôt un samedi !?!
48 heures que nous sommes arrivés dans mon petit coin perdu,
mon village oublié, mon coin de montagne.
Et pour la 1ère fois depuis 18 ans, Joan est là. Joan
qui trouve que le village est plus petit qu’il n’était, alors qu’il s’est
plutôt légèrement étendu depuis que tous les descendants restaurent les maisons
des ancêtres. Mais il avait 15 ans en 1998.
Les cousins, qui sont venus avant nous, ont débroussaillé la
cour, nettoyé l’ancien clapier de tonton Albert, élagué quelques arbres :
de la terrasse nous avons maintenant une belle vue sur le village ensoleillé,
sur lequel les nuages descendent en fin d’après-midi. Vers 20h la petite laine
se supporte, et la nuit c’est la couverture que nous supportons. Je suis faite
pour ces températures, pas pour les 35° provençaux. Mes origines sans doute…
L’écrin de montagne est serein, presque rassurant. C’est
peut-être pour cela que, dans les moments difficiles de ma, vie Ayguatebia
était un remède efficace.
Le clocher sonne la demie de 17h. Il rythme la vie du village.
En cette saison, nous croisons du monde dans les quelques
rues.
Des jeunes, beaucoup. Qui se baladent comme je me baladais il
y a plus de 40 ans, en bande, ou en couple. Main dans la main.
Le téléphone à l’oreille souvent. Il y a une moins d’une
dizaine d’années que les ondes des portables franchissent la montagne. Je me
souviens d’il y a quelques années, où j’allais sur la route du Col de Jouell
pour « capter » et écouter mes messages, et plus avant, des longs
moments passés dans l’unique cabine téléphonique, qui n’acceptait que les
pièces, et qui avalait toutes celles de 5 francs que j’avais précieusement
gardées à cet usage, pour entendre un peu tous les jours celui qui deviendrait
le père de Joan.
Internet, lui, ne franchit pas la montagne. Pas de mails, pas
de Facebook, et l’on s’aperçoit que l’on peut vivre sans.
Dans les rues, des personnes de la génération de mes parents,
de plus en plus rares, hélas. Pour eux je suis toujours « la fille de
Georges ».
Des personnes de ma génération, certains que je reconnais,
d’autre pas, peut-être parce que je ne les ai jamais connus. Il y a ceux qui
venaient et ne viennent plus, ceux qui ne venaient pas et viennent maintenant.
Les circonvolutions de la vie. Parmi eux, certains avec qui je jouais, enfant,
ou me baladais, adolescente.
Il y avait la bande des enfants et la bande des ados, et le
soir, les ados ne supportaient pas que les enfants viennent avec eux. Ils auraient
pu raconter des flirts furtifs à leurs parents… J’ai fait partie des deux
bandes. Enfants, je maudissais ces grands qui se prenaient au sérieux et nous
éloignaient, puis ado, je disais aux enfants de nous laisser tranquilles. Les
ados sont méchants !
Tata Paulette et maman discutent sous le balcon. Tata Paulette
vient pour une bricole et reste une heure, idem pour maman quand elle va chez
elle.
Elles ont le même âge, ont été mariées avec deux frères,
disparus tous les deux aujourd’hui. Un peu sourdes, les phrases se répètent
souvent. La famille est passée en revue. De la fratrie Goze il ne reste que
Josette, la plus jeune, et qui « a encore son mari ». Les quatre
frères sont décédés, dans le désordre, une autre belle-sœur est encore de ce
monde, mais ne vient plus « au village ».
J’ai des cousines, deux
fréquentent assidûment Ayguatebia, une qui est plus une amie qu’une cousine,
une autre qui est dans la maison en dessous et que je n’ai pas vue depuis notre
arrivée. Nous ne sommes pas calées sur le même fuseau horaire, et n’avons pas
grand-chose à nous dire. Comme dit le proverbe « on choisit ses
amis… ». Et puis des petits-cousins, des arrières petits-cousins, certains
que je n’ai jamais vus. Ainsi va la vie. Mais aujourd’hui le petit cousin,
Vincent, qui est marié à une mexicaine, doit arriver avec le petit Louis, ou
Luis ?
Le petit Louis est arrivé, avec sa maman Judith (c’est
mexicain comme prénom ça ?) qui est jolie comme un cœur et légèrement
typée amérindienne. Quand je lui demande, comme on demande bêtement à tous les
petitous : « comment tu t’appelles ?», sa maman lui
traduit : « come te llama ? ».
Ce matin, après la messe où nous ne sommes pas allés ici plus
qu’ailleurs, apéritif offert par le maire devant l’ancienne école, celle où
papa allait à l’époque où le village était très habité. L’inscription
« Parlez français – Soyez propres » est toujours là, régulièrement
repeinte. Du temps de la jeunesse de papa, on parlait catalan dans les
familles, mais c’était interdit à l’école.
Je reconnais beaucoup de visages, mais je ne sais pas toujours
qui est qui.
On se demande comment ça va depuis l’an dernier, on se réjouit
du beau temps qui nous accompagne pour cette fête, beaucoup de banalités.
Le maire fait un petit discours, les personnes âgées continuent
leurs discussions en parlant fort, surdité aidant. Des « chut » se
murmurent puis se crient.
Un hommage aux victimes des attentats dans notre pays. C’est
vrai qu’ici on a tendance à oublier que le monde est en ébullition. Quelques
mots sur ce qui s’est fait au village dans l’année, sur les traditions que l’on
perpétue ou que l’on remet au goût du jour, avec un comité des fêtes très
dynamique. Un hommage à « ceux qui nous ont quittés ». Et puis on
remet la médaille du village à l’ancien maire, qui a officié pendant 50 ans. Il
a l’âge qu’aurait papa, ils étaient à l’école ensemble. Lui n’a jamais quitté
le village, il est toujours alerte même si le temps et la dureté de la vie près
des vaches l’ont marqué.
Ici pas de droite ni de gauche,
un bon maire c’est celui qui s’occupe au mieux du village, même si l’on sait
que l’un était plutôt conservateur et que son successeur aurait des idées
« anti-capitaliste ».
La tombola est tirée, la fête est presque finie. Il y aura
encore un bal ce soir, où nous n’irons pas, animé par le jeune Rémy.
Demain le village sera plus calme. Ceux qui sont montés pour
le week-end de la fête seront repartis, ceux qui sont venus pour les vacances
seront là pour quelques jours encore. Et puis ceux qui vivent ici à l’année, et
ils sont plus nombreux qu’avant, seront toujours là.
L’employé municipal aura du boulot demain pour remettre les
lieux en état, même si ici il y a plus de respect de la nature. Les grands
parents ont appris ce respect aux plus jeunes. La nature c’était le gagne-pain
de ceux qui vivaient ici. C’était l’herbe pour les vaches, la terre pour les
patates, les légumes et les céréales.
Les céréales pour les poules, et pour le pain. Chaque maison
avait son four, chaque famille faisait son pain. Celui de ma grand-mère était
très noir, du pain de seigle, et me faisait faire la grimace. Maintenant que
les pains de seigle du boulanger sont à peine beiges, je donnerais cher pour en
remanger de ce pain-là.
Travailler ici et vivre ici, un rêve pour certains. Ce n’est
pas mon rêve. Je suis une urbaine qui a besoin de parenthèses
de calme et de grand air, mais qui a besoin de cinéma, de librairies, et de
moments forts avec mes amis, qui sont loin d’ici. Je ne serai pas une
néo-rurale. Mais pour ma retraite, cette maison, ce petit coin perdu, seront
mon havre de paix quand le besoin s’en fera sentir.
Le Canigou nous fait face. Très net par temps clair, ou
enveloppé de brume. Les anciens savaient prédire le climat à court terme en
fonction de son aspect.
Je me contente de le regarder, il m’apaise, et c’est un peu le
symbole de « mes Pyrénées ».
C'est très beau et tellement vivant
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