17 août 2016

Ayguatebia

Des rires dans la cour. Mon amoureux et mon fils jouent aux boules.
Ce qui n’est pas une activité habituelle, ni pour l’un ni pour l’autre !
Philippe aurait bien fait le concours de boules de la fête du village si, au lieu d’y aller à 14h, il y était allé à 13h, heure des inscriptions. Quelle idée de mettre les inscriptions si tôt un samedi !?!
48 heures que nous sommes arrivés dans mon petit coin perdu, mon village oublié, mon coin de montagne.
Et pour la 1ère fois depuis 18 ans, Joan est là. Joan qui trouve que le village est plus petit qu’il n’était, alors qu’il s’est plutôt légèrement étendu depuis que tous les descendants restaurent les maisons des ancêtres. Mais il avait 15 ans en 1998.
Les cousins, qui sont venus avant nous, ont débroussaillé la cour, nettoyé l’ancien clapier de tonton Albert, élagué quelques arbres : de la terrasse nous avons maintenant une belle vue sur le village ensoleillé, sur lequel les nuages descendent en fin d’après-midi. Vers 20h la petite laine se supporte, et la nuit c’est la couverture que nous supportons. Je suis faite pour ces températures, pas pour les 35° provençaux. Mes origines sans doute…
L’écrin de montagne est serein, presque rassurant. C’est peut-être pour cela que, dans les moments difficiles de ma, vie Ayguatebia était un remède efficace.
Le clocher sonne la demie de 17h. Il rythme la vie du village.
En cette saison, nous croisons du monde dans les quelques rues.
Des jeunes, beaucoup. Qui se baladent comme je me baladais il y a plus de 40 ans, en bande, ou en couple. Main dans la main.
Le téléphone à l’oreille souvent. Il y a une moins d’une dizaine d’années que les ondes des portables franchissent la montagne. Je me souviens d’il y a quelques années, où j’allais sur la route du Col de Jouell pour « capter » et écouter mes messages, et plus avant, des longs moments passés dans l’unique cabine téléphonique, qui n’acceptait que les pièces, et qui avalait toutes celles de 5 francs que j’avais précieusement gardées à cet usage, pour entendre un peu tous les jours celui qui deviendrait le père de Joan.
Internet, lui, ne franchit pas la montagne. Pas de mails, pas de Facebook, et l’on s’aperçoit que l’on peut vivre sans.
Dans les rues, des personnes de la génération de mes parents, de plus en plus rares, hélas. Pour eux je suis toujours « la fille de Georges ».
Des personnes de ma génération, certains que je reconnais, d’autre pas, peut-être parce que je ne les ai jamais connus. Il y a ceux qui venaient et ne viennent plus, ceux qui ne venaient pas et viennent maintenant. Les circonvolutions de la vie. Parmi eux, certains avec qui je jouais, enfant, ou me baladais, adolescente.
Il y avait la bande des enfants et la bande des ados, et le soir, les ados ne supportaient pas que les enfants viennent avec eux. Ils auraient pu raconter des flirts furtifs à leurs parents… J’ai fait partie des deux bandes. Enfants, je maudissais ces grands qui se prenaient au sérieux et nous éloignaient, puis ado, je disais aux enfants de nous laisser tranquilles. Les ados sont méchants !
Tata Paulette et maman discutent sous le balcon. Tata Paulette vient pour une bricole et reste une heure, idem pour maman quand elle va chez elle.
Elles ont le même âge, ont été mariées avec deux frères, disparus tous les deux aujourd’hui. Un peu sourdes, les phrases se répètent souvent. La famille est passée en revue. De la fratrie Goze il ne reste que Josette, la plus jeune, et qui « a encore son mari ». Les quatre frères sont décédés, dans le désordre, une autre belle-sœur est encore de ce monde, mais ne vient plus « au village ».
J’ai des cousines, deux fréquentent assidûment Ayguatebia, une qui est plus une amie qu’une cousine, une autre qui est dans la maison en dessous et que je n’ai pas vue depuis notre arrivée. Nous ne sommes pas calées sur le même fuseau horaire, et n’avons pas grand-chose à nous dire. Comme dit le proverbe « on choisit ses amis… ». Et puis des petits-cousins, des arrières petits-cousins, certains que je n’ai jamais vus. Ainsi va la vie. Mais aujourd’hui le petit cousin, Vincent, qui est marié à une mexicaine, doit arriver avec le petit Louis, ou Luis ?
Le petit Louis est arrivé, avec sa maman Judith (c’est mexicain comme prénom ça ?) qui est jolie comme un cœur et légèrement typée amérindienne. Quand je lui demande, comme on demande bêtement à tous les petitous : « comment tu t’appelles ?», sa maman lui traduit : « come te llama ? ».
Ce matin, après la messe où nous ne sommes pas allés ici plus qu’ailleurs, apéritif offert par le maire devant l’ancienne école, celle où papa allait à l’époque où le village était très habité. L’inscription « Parlez français – Soyez propres » est toujours là, régulièrement repeinte. Du temps de la jeunesse de papa, on parlait catalan dans les familles, mais c’était interdit à l’école.
Je reconnais beaucoup de visages, mais je ne sais pas toujours qui est qui.
On se demande comment ça va depuis l’an dernier, on se réjouit du beau temps qui nous accompagne pour cette fête, beaucoup de banalités.
Le maire fait un petit discours, les personnes âgées continuent leurs discussions en parlant fort, surdité aidant. Des « chut » se murmurent puis se crient.
Un hommage aux victimes des attentats dans notre pays. C’est vrai qu’ici on a tendance à oublier que le monde est en ébullition. Quelques mots sur ce qui s’est fait au village dans l’année, sur les traditions que l’on perpétue ou que l’on remet au goût du jour, avec un comité des fêtes très dynamique. Un hommage à « ceux qui nous ont quittés ». Et puis on remet la médaille du village à l’ancien maire, qui a officié pendant 50 ans. Il a l’âge qu’aurait papa, ils étaient à l’école ensemble. Lui n’a jamais quitté le village, il est toujours alerte même si le temps et la dureté de la vie près des vaches l’ont marqué.
Ici pas de droite ni de gauche, un bon maire c’est celui qui s’occupe au mieux du village, même si l’on sait que l’un était plutôt conservateur et que son successeur aurait des idées « anti-capitaliste ».
La tombola est tirée, la fête est presque finie. Il y aura encore un bal ce soir, où nous n’irons pas, animé par le jeune Rémy.
Demain le village sera plus calme. Ceux qui sont montés pour le week-end de la fête seront repartis, ceux qui sont venus pour les vacances seront là pour quelques jours encore. Et puis ceux qui vivent ici à l’année, et ils sont plus nombreux qu’avant, seront toujours là.
L’employé municipal aura du boulot demain pour remettre les lieux en état, même si ici il y a plus de respect de la nature. Les grands parents ont appris ce respect aux plus jeunes. La nature c’était le gagne-pain de ceux qui vivaient ici. C’était l’herbe pour les vaches, la terre pour les patates, les légumes et les céréales.
Les céréales pour les poules, et pour le pain. Chaque maison avait son four, chaque famille faisait son pain. Celui de ma grand-mère était très noir, du pain de seigle, et me faisait faire la grimace. Maintenant que les pains de seigle du boulanger sont à peine beiges, je donnerais cher pour en remanger de ce pain-là.
Travailler ici et vivre ici, un rêve pour certains. Ce n’est pas mon rêve. Je suis une urbaine qui a besoin de parenthèses de calme et de grand air, mais qui a besoin de cinéma, de librairies, et de moments forts avec mes amis, qui sont loin d’ici. Je ne serai pas une néo-rurale. Mais pour ma retraite, cette maison, ce petit coin perdu, seront mon havre de paix quand le besoin s’en fera sentir.
Le Canigou nous fait face. Très net par temps clair, ou enveloppé de brume. Les anciens savaient prédire le climat à court terme en fonction de son aspect.

Je me contente de le regarder, il m’apaise, et c’est un peu le symbole de « mes Pyrénées ».

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