Alors, je vais l’appeler Mr S, car si je mets le nom
(prénom) sous lequel il est (très) connu, cela ressort dans les moteurs de
recherche, et je me fais injurier par ceux qui ne supportent pas que l’on
puisse parler de « leur idole » en disant la vérité.
Pour moi, ce n’est pas mon idole. Quand j’étais ado, Julien
Clerc était sans doute ce que l’on pouvait appeler mon idole. Depuis j’ai
grandi, un peu, mûri aussi.
Mr S est une personne qui a accompagné une grande partie de
ma vie, une personne pour qui j’ai une profonde admiration. Pour la qualité de
ses chansons et de ses écrits en général.
Pour l’humanité qui se dégage de lui.
Je sais que ces dernières années il a exprimé des idées qui
n’étaient pas les miennes, mais je ne lui en veux pas. Je ne sais pas s’il
avait vraiment analysé la situation, dans son repaire où il n’est peut-être pas
informé de tout.
Et le droit à l’erreur, tout le monde l’a, pourquoi pas lui.
Si on met en balance toutes les chansons profondément
humanistes, ou profondément subversives, qu’il a écrites, avec ce qu’il a pu
dire après, je sais de quel côté penche la balance.
Elle penche du côté de mes idées.
Et si dans les manifs il y a toujours une de ses chansons
qui passe, la même, c’est qu’il a eu le courage de l’écrire.
Donc, hier matin, nous avons décidé d’aller dans sa ville,
puisque nous avions su qu’il était sorti de clinique.
La dernière fois que nous l’avions vu je l’avais trouvé un
peu mieux, il m’avait donné de l’espoir. Et il n’y avait pas d’alcool à sa
table.
Et puis je pensais vraiment qu’il sortirait de ce séjour
médical requinqué.
J’avais réservé au restaurant habituel, pour midi. Il y est
toujours à midi, il doit même y être bien avant.
Et donc, à midi il était là, avec son fidèle accompagnateur.
Ce jeune facteur qui est maintenant son homme de compagnie et qui porte un regard
touchant sur lui.
Comme toujours, je suis allée le saluer. J’ai eu droit à un
vague merci difficilement prononcé. Difficilement car son élocution est
difficile.
J’ai été peinée de le voir, le cheveu ni brillant ni coiffé,
la tenue plutôt négligée.
Assis à une table face à la sienne, j’ai pu discrètement l’observer.
Et ce que je voyais me faisait mal. La bière d’abord. Les
demis qui se succédaient. La cigarette bien sûr, non-stop.
Mais surtout, quand il tirait sur sa cigarette ou buvait, le
geste d’un enfant accroché à sa tétine, le geste du réconfort que rien d’autre
n’apporte. Un geste qui fait mal à voir.
Et des difficultés à respirer par moment.
Silencieux. Ailleurs, malgré les deux autres personnes qui
les ont rejoints à leur table.
Des passants ralentissent, ceux qui sont habitués et qui
vérifient qu’il est là, et ceux qui passent sans doute exprès.
Certains s’apprêtent à dégainer le téléphone en position
photo, mais le patron du resto veille, et dit haut et fort « pas de photos ».
Je ne comprends pas comment on peut oser prendre une photo de quelqu’un, aussi
connu soit-il, qui n’est pas en représentation.
Un homme, masque en bandana rouge, c’est approché. Il a
tendu la main mais l’homme qui veille lui a rappelé qu’avec le Covid ce n’était
pas approprié.
L’homme s’est accroupi, un peu comme devant une divinité.
Dans son regard on pouvait d’ailleurs penser qu’il avait rencontré son dieu.
Il a posé une boite à chaussures sur la table, apparemment un
cadeau. J’ai entendu qu’il venait de loin pour le voir. Mr S a dit oui pour une
photo, sans enthousiasme aucun.
De mon côté, comme souvent, j’ai pris une page de mon carnet
et j’ai écrit un petit mot pour lui dire que j’étais heureuse de le voir, et
combien il avait compté dans ma vie.
Je l’ai déposé devant lui. Il l’a lu, m’a cherchée du regard,
et m’a remerciée d’un hochement de tête bienveillant.
Je ne sais pas si je retournerais là-bas.
L’impression que j’ai eue, c’est celle d’avoir vu un homme
profondément détaché de tout et ne vivant que grâce, et pour ses addictions.
L’impression que la vie ne lui apportait plus rien et qu’il
avait décidé qu’elle pouvait s’arrêter n’importe quand.
Chaque fois que je vois une photo de lui plus jeune, avec sa
gueule d’ange. Chaque fois que je me repasse ses concerts et l’amour qu’il
donnait et recevait en retour, je me dis : pourquoi ?
C’est la vie, sans doute.
Et c’est sans doute cette fragilité qui lui a permis d’écrire
de si belles choses.
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