13 avr. 2021

Chris

 

J’arrivais de Marseille où j’avais vécu 13 ans. J’y étais dans un collège de filles, je n’y avais pas vraiment d’amis, sauf le voisin du dessus, je m’ennuyais souvent.

La 4ème au collège mixte de St Côme à Salon était un changement, il y avait des garçons, et moi je devenais ado.

En 3ème arrive dans ma classe Chris. Le courant est passé très vite entre nous. Au bout de quelques semaines nous étions les meilleures amies du monde.

J’habitais dans le centre de Salon, Chris à l’extérieur. Son père travaillait dans un centre de maintenance et d’intervention, à 5 km de la ville, ils y étaient logés.

Rapidement, les week-ends se passaient ensemble. Nos parents, à force de nous mener l’une chez l’autre, sont devenus amis, et le sont toujours restés. De nos 4 parents, seule maman est encore de ce monde.

Après la 3ème et le BEPC, nous avons choisi la même filière (littéraire) au lycée. Et nous nous sommes retrouvées dans la même classe.

Il parait que nous étions dissipées, que nous parlions trop ensemble pendant les cours…

Mon père, pas commode, est allé jusqu’à demander à l’administration du lycée de ne plus nous mettre dans la même classe, et il a été exaucé. Nous étions furax !

Mais nous nous retrouvions toujours à la récré, le soir, le week-end.

En 1ère, nous avons rencontré 2 beaux jeunes hommes de terminale, tous deux inséparables aussi. Chris est sortie (c’est comme ça que l’on disait à l’époque) avec M, et moi avec JP. Nous n’étions plus 2 mais 4.

Pour eux, le bac approchait. Quelques jours avant, M a dit à Chris qu’il souhaitait qu’ils restent ensemble malgré qu’il quitte le lycée. En même temps, JP, plus baroudeur et moins fixé sur son avenir, me disait qu’il était plus sage qu’on en reste là. L’une aux anges, l’autre en plein chagrin d’amour, assez vite consolé.

En terminale j’ai rencontré JJ, qui n’était pas au lycée, mais que j’avais repéré depuis longtemps dans les rues de Salon.

Nous travaillions toutes les 2 un exposé sur « une journée d’Ivan Denissovitch » de Soljenitsyne, au Sport Bar, le bar de tous les lycéens de Salon.

A la table d’en face, le beau JJ était là, avec un ami. Ils nous ont proposé de nous joindre à eux. Mon cœur battait fort. J’ai espéré de toutes mes forces qu’ils seraient encore là le lendemain.

Et il était là. Au moment de partir Chris s’est éclipsée, et il m’a raccompagnée jusque chez moi.

Premier baiser devant le Prisunic de l’époque, le 28 novembre 1973.

C’était la 1ère fois que mon cœur battait si fort. Au fond de moi je savais déjà que c’était lui, que les flirts que j’avais pu avoir avant n’étaient rien à côté de ce que je ressentais là.

Pendant notre année de terminale, mon temps se partageait entre Chris et JJ, celui de Chris entre M et moi.

Nous avons eu le bac toutes les 2. Il était, objectivement, plus dur à décrocher qu’aujourd’hui.

Et nous avons choisi ensemble d’aller en fac à Aix, en psycho.

Chris a eu droit à une chambre en cité U. Je l’ai partagée clandestinement avec elle. Il était interdit d’y habiter à 2.

Le lit de camp, que nous dépliions le soir et rangions soigneusement tous les matins, c’était une semaine chacune.

Chris allait de plus en plus souvent dormir dans la chambre d’étudiant de M, à Marseille. JJ pouvait venir. Lui était étudiant à l’institut Fontlongue de Miramas, école d’agriculture.

Quand mon père m’a annoncé qu’il était muté à Marseille et que nous allions habiter Marseille, j’ai dit que je ne voulais pas suivre. Comment aurais-je pu voir JJ en étant la semaine à Aix et le week-end à Marseille ? La réponse est tombée comme un couperet : si tu veux être indépendante, tu travailles !

Et comme les relations avec mon père était tendues depuis que JJ était dans ma vie, j’ai répondu du tac au tac : j’arrête la fac et je cherche du travail.

JJ n’était pas au goût de papa : cheveux trop longs, tenue trop « débraillée », tout ce qui me plaisait chez lui lui déplaisait, il était loin de l’image du gendre idéal qu’il aurait rêvée. Et puis surtout, il avait une fille unique, et il la perdait…

Mon père me dit qu’on cherche quelqu’un au Crédit Lyonnais (il y travaillait). Je dis ok, et je passe les tests. Je suis prise (et pas par piston mais parce que j’ai réussi les tests d’entrée !).

Chris s’est arrêté comme moi après le DEUG (appellation de l’époque). Je crois qu’elle n’avait pas envie de continuer sans moi.

De nouveau, nous n’étions plus 2 mais 4. Nous nous voyions essentiellement avec M et JJ.

D’ailleurs le hasard faisait que M et JJ étaient de lointains cousins.

Ils étaient très différents. M souhaitait poursuivre des études longues, et il a bien fait puisqu’il est devenu pharmacien.

JJ a souhaité travailler rapidement. Il est devenu jardinier à la mairie d’Istres. Et avec nos 2 salaires, pas bien gros, à l’époque, on pouvait vivre correctement.

Chris était toujours ma meilleure amie, même si nous fréquentions aussi des amis de JJ, d’autres amis du lycée et au fil du temps d’autres personnes.

Nous ne passions pas une semaine sans nous appeler, pas une quinzaine sans nous voir. Et nous partions quelquefois en week-end ensemble.

En 1982 nous sommes devenus parents tous les 4.

Nos bouts de choux aimaient s’amuser ensemble.

Imperceptiblement, nous nous sommes un peu éloignées.

L’engagement à Amnesty qui me prenait beaucoup de temps, puis l’engagement militant.

La vie m’a joué des tours, m’a laissée seule avec mon fils à demi orphelin.

Le lien a toujours été là. Mais je ne sais pas si ma vie un peu dissolue a bien été toujours comprise.

Et puis 2005, Philippe.

Je reprends une vie stable et apaisée.

Philippe s’entend bien avec Chris et M.

Nous nous voyons de temps en temps. Souvent quand nos amis du bout du monde, que nous avons connus ensemble au lycée, sont en France.

Nous nous téléphonons régulièrement.

Depuis que la retraite me laisse plus de temps, nous nous voyons quelquefois toutes les 2, pour un déjeuner, une balade en ville.

Je retrouve une complicité qui s’était un peu délitée, et qui me fait chaud au cœur.

Nous avons partagé tellement de moments de notre jeunesse, tellement de concerts de Julien Clerc, notre idole à l’époque.

Nous avons tellement ri de choses que nous seules comprenions.

Je n’ai pas eu de sœur, elle l’était pendant cette jeunesse.

Il y a quelques temps, j’essaie de la joindre.

Nous nous appelons toujours régulièrement. Pas de réponse.

Puis un texto laconique « je te rappellerai ».

Et elle m’a rappelée, et j’ai compris son silence.

Elle attendait les résultats d’une biopsie.

J’étais très impatiente de les connaître, ces résultats.

Et un texto est tombé : « ça n’est pas bon ».

J’ai reçu un coup de poing dans le ventre.

J’ai mesuré à quel point le lien qui nous liait était encore fort.

J’ai revécu le jour où mon Filou m’a annoncé que la même saleté s’attaquait à lui, il y a 18 ans. Filou est guéri, pour toujours j’espère.

Depuis, Chris a été opérée, nous avons pu parler longuement.

Je l’ai sentie forte et déterminée.

D’ici 2 jours elle connaîtra le protocole qui lui sera appliqué.

Je suis impatiente d’en savoir plus, mais je sais qu’elle se battra, qu’elle gagnera !

Je sais que j’aurai envie d’être près d’elle souvent.

L’amitié ne peut jamais mourir, et elle est, avec l’amour, les liens qui font ma vie belle.

 

  

 

 

 

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