Nous étions assis sur le muret
qui surplombait la plage.
Il faisait doux, c’était bon de
se retrouver là, juste le plaisir d’être ensemble, sans forcément se parler.
Ces moments si rares, sereins, où
l’on a l’impression que nous sommes à l’abri du monde et de sa fureur, que nous
nous protégeons les uns les autres.
Il ne pouvait rien nous arriver.
Joël avait mis en fond sonore « dimanche
soir à Châteauguay » de Beau Dommage, c’était exactement ce qui allait
avec le paysage.
Un paysage calme, une mer calme.
Le soleil entamait sa descente
vers l’horizon.
Nous savions que d’ici quelques
minutes nous allions assister à son coucher, que nous allions, comme les autres
fois nous extasier en silence, en prendre plein les yeux, nous emplir de ses
couleurs, toujours différentes.
Sans rien dire, Philippe
préparait son appareil photo. Il collectionnait les photos de couchers de
soleil.
Ses murs étaient tapissés de ses
photos, et, sans qu’il n’y ait aucune légende, il pouvait nous dire où et quand
chacune avait été prise.
Ce soir-là, un jaune trop calme pour
être innocent vibrait au-dessus de l’horizon.
Toujours sans un mot, nous nous
sommes regardés avec un air interrogatif dans les yeux.
Nous avons repris notre
contemplation. Cet effet de vibration s’accentuait.
Impossible de savoir si nos yeux
nous jouaient des tours ou si cette vibration était réelle.
Peu à peu la vibration s’est
accompagnée de stries grises qui griffaient le jaune, qui ondulaient dans une
irrégularité de mouvement surprenante.
Le soleil allait-il être englouti ?
Nous nous sommes regardés à
nouveau dans un mouvement commun.
La sérénité me quittait pour
laisser la place à une sensation indéfinie.
Seule, je me serais levée sans
bruit et me serais éloignée de la mer. Je serais sans doute allée boire un
chocolat dans le bar, de l’autre côté de la route, en me collant à la vitre,
qui me protégerait.
Mais là j’étais entourée, nous
faisions bloc face à ce paysage changeant de minute en minute, et sans doute
encore plus vite.
Le soleil était passé au-dessous
de cet étrange mélange changeant de gris et de jaune.
Autour de lui des masses se
formaient. Des masses oblongues, comme un œuf éclaté qui aurait accouché du
soleil.
Un filet évanescent semblait s’agripper
à ces masses, laissant passer un jaune étrange, indéfinissable.
Un homme surgit de l’eau et
courut vers la plage. Il trainait un bateau en forme de coquille de noix.
Nous nous serrions doucement les
uns contre les autres, personne n’aurait eu l’idée de parler.
La sidération peut-être.
Après un dernier coup d’œil sur
cette vision étrange, nous nous sommes levés tous ensemble, dans un même
mouvement.
Toujours sans nous concerter,
nous avons traversé la route et nous sommes rentrés dans le bar.
Nos premières paroles ont été de
commander des chocolats chauds.
A travers la vitre, la mer calme,
sereine, avec encore quelques lueurs de jour doré.
Philippe nous a montré l’écran de
son appareil photos.
Que des images de coucher de
soleil, rien d’autre. Un coucher de soleil magnifique, comme les jours
précédents.
Mais un coucher de soleil
finalement banal.
Que c’était-il passé ?
Nous ne le saurons jamais, et
aucun d’entre nous n’a évoqué le moment que nous avions vécu.
Nous nous sommes remis à parler,
à envisager ce que nous allions faire de notre soirée.
Joël nous parle d’une crêperie
dont on lui a dit le plus grand bien.
Nous avons discuté de tout et de
rien, nous avons rit des blagues de Loïc.
La soirée était belle, comme
chaque fois que nous étions réunis.
Nous nous sommes dit « au
revoir » « et à très bientôt ».
Rentrée chez moi, la vie a repris
son cours.
Un soir nous nous sommes revus,
toujours les mêmes. Joël a remis en fond sonore « Dimanche soir à
Chateauguay » de Beau Dommage.
Sans un mot, nous nous sommes
pris dans les bras les uns et les autres.
Un moment suspendu, à jamais gravé
dans nos têtes.
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