18 janv. 2012

Etre juge

Je commence ma 4ème année de Conseillère Prud'homale.
Pourquoi Conseillère? On ne conseille pas, on juge.
Le terme "juge" est approprié également, mais trop pompeux à mon goût pour des personnes dont ce n'est pas la profession de base.
Malgré tout, ma carte officielle du Ministère de la Justice, je l'aime bien....
Mais juger, ce n'est pas facile.
Juger en droit sans se laisser polluer par d'autres considérations.
Ma première audience, il y a 4 ans donc:
L'avocat du salarié plaide: je suis entièrement acquise à sa cause, je plains de tout mon coeur le salarié bafoué, j'en veux énormément à l'employeur.
Puis l'avocat de l'employeur plaide: là je me dis que le salarié n'est peut-être pas tout blanc, qu'il a peut-être abusé, je ne sais plus.
Les avocats sont très forts, enfin, pour la plupart. 
C'est un métier!
Faisant partie du "collège salarié", étant militante dans un syndicat de  travailleurs, d'ouvriers, d'employés, tout naturellement j'ai envie de défendre le salarié, et de toutes façons c'est pour cela que j'ai été élue.
Les Conseillers du "collège employeur" sont là pour défendre l'employeur.
Nous sommes 4 à écouter les plaidoiries (c'est: "le Bureau de Jugement") et ensuite à décider du jugement à rendre lors du "délibéré". 4 c'est à dire 2 conseillers salariés, 2 conseillers employeurs. 
Le Code du Travail doit être notre bible.
Si l'un des deux justiciables n'a pas respecté le Code du Travail nous devons le sanctionner. 
Mais il y a tout ce que les avocats ont plaidé pour essayer d'influencer notre jugement.
Toutes les pièces qu'ils ont mises au dossier dans le même but.
Arguments des conseillers salariés: le salarié n'a pas retrouvé de travail, il est dans une situation précaire.
Arguments des conseillers employeurs: c'est une petite société, ils n'ont pas voulu se mettre hors la loi volontairement, ils n'étaient pas au courant, et puis s'ils doivent verser une grosse somme au salarié cela va mettre à genoux l'entreprise.
Toutes ces considérations n'ont pas de rapport avec la loi, et pourtant elle influencent nos jugements respectifs. 
Non sur le fond, mais dans la forme: montant des dommages et intérêts, etc...
Et puis il y a les choses qui ne sont pas dites, pas écrites, mais que l'on ressent.
N'y aurait-il pas eu des "exigences" du patron auxquelles la salariée n'a pas voulu se soumettre? (On peut inverser les sexes, ça marche aussi).
L'engagement syndical du salarié n'aurait-il pas déplu au patron, ou bien sa couleur de peau?
Il y a la conviction intime que l'on se fait, quelquefois malgré nous, et puis il y a la loi.
Et donc, juger, en droit et équitablement, ce n'est vraiment pas facile.
Mais c'est passionnant!!

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