Estelle et Yann
Estelle a du mal à
se remettre du décès du père de Brice, son fils de 15 ans. Depuis un an, depuis
ce jour fatal, elle oscille entre abattement et excitation, elle papillonne.
Elle rencontre des
hommes souvent plus jeunes qu’elle.
Jamais rien de
sérieux, mais cela lui fait du bien. La rassure sans doute.
Depuis quelques
jours, un garçon au pseudo de bande dessinée l’aborde.
Ils habitent à 200 km de distance, il a 16
ans de moins qu’elle
Jamais elle
n’avait eu affaire à une telle distance ni une telle différence d’âge.
Yann a à peine 10
ans de plus que son fils.
Mais leurs
échanges la touchent. Ils se téléphonent, sa voix est agréable.
Elle finit par
prendre goût à ces rendez-vous téléphoniques, elle a l’impression qu’il en a
besoin, elle les attend aussi, au point de partir plus tôt d’une soirée entre
copains pour pouvoir discuter tranquillement avec lui.
Yann est en arrêt
pour une blessure à l’épaule qui l’empêche d’exercer ce travail qu’il aime
tant : porter secours, et de pratiquer son sport favori, le hand-ball.
Elle laisse tomber
ses barrières et accepte la rencontre.
Ce sera à
Montpellier, dans un bar qu’elle fréquente depuis ses années de fac.
Ce jour là la
France joue pour la coupe du monde de football, elle gagne, il y a du monde, de
la clameur. Elle s’en moque, elle s’est prise au jeu.
Elle est en
avance. Il s’est peu dévoilé, elle sait qu’il est grand et qu’il a un chien, et
qu’il est jeune. Trop jeune ?
En terrasse elle
regarde les jeunes gens passer. En voila un avec un chien fauve.
Il ne regarde pas
la terrasse et va s’y asseoir à l’extrême coin gauche.
Il attend mais la
timidité est inscrite sur son visage. Il est beau.
Elle finit par
aller l’aborder au risque de se tromper. Mais son intuition était la bonne,
c’est lui.
La facilité de
parole de leurs communications téléphoniques a disparue.
C’est elle qui
essaie d’alimenter une conversation.
Ils décident
d’aller dîner ensemble.
Se sent-il obligé
d’accepter ou en a-t-il envie aussi ? Elle ne peut rien cerner.
Ils mangent dans un
petit restaurant exotique dans les ruelles de la vieille ville.
Il se détend, la
regarde quelquefois en face, il y a de la douceur dans son regard.
Lors de leur
dernier échange téléphonique il était convenu que s’ils se plaisaient il
passerait le week-end chez elle.
Elle ne sait
toujours pas s’il viendra.
Ils se lèvent, il
lui prend la main : il viendra !
Il la suit en
voiture jusque chez elle, à 50
km de là.
Ils vont se
coucher et font l’amour un peu maladroitement.
Ils passent le
week-end entre balades et moments de tendresse et de sensualité.
Leurs étreintes
deviennent plus assurées et plus fougueuses.
Elle le sait, elle
est tombée amoureuse de lui, elle n’aura plus que lui dans la tête.
Il ne repart que
le lundi matin, elle travaille.
Estelle a un nuage
appelé Yann, elle s’y installe.
Par moment des
questions : « qu’est-ce qu’il m’arrive ? », « est-ce
raisonnable ? », balayées par leurs coups de fil tendres.
Il revient la
voir, avant de venir il lui a dit « je t’aime » au téléphone puis a
eu l’air surpris de ce qu’il venait de dire. Son nuage devient de plus en plus
enveloppant.
Son cœur bat comme
il n’avait plus battu depuis le père de Brice.
Brice d’ailleurs a
du mal à accepter le chien qu’on lui laisse quelquefois en garde. Il n’est pas
très chien. Estelle est touchée par le lien qui existe entre Yann et son chien,
et gênée quand le chien assiste à leurs ébats.
Yann reprend le
travail avec bonheur. Elle sait qu’il sera plus difficile de se voir.
Elle sait aussi
que dans quelques jours elle part pour un mois en vacances avec Brice.
A peine le travail
repris il est appelé sur un incendie, il ne sait pas pour combien de temps il
s’en va, il lui passe un coup de fil rapide pour la prévenir avant de partir.
Elle découvre
l’inquiétude de savoir l’être aimé en danger.
Le lendemain elle
n’a pas de nouvelles, elle ne peut penser à autre chose.
Le soir, un
concert de Julien Clerc prévu de longue date, l’idole de sa jeunesse.
Sans nouvelle de
lui elle sait qu’elle n’ira pas. Avant elle n’aurait jamais envisagé de rater
Julien Clerc pour qui que ce soit.
Il l’appelle 1/2h
avant le concert. Il est rentré, il va bien !
Elle va pouvoir
danser, chanter, jouer les groupies, Yann a appelé.
Mais elle vient de
toucher du doigt combien il est difficile d’aimer quelqu’un qui a un métier à
risque.
Ils se planifient
un week-end cévenol. Une escapade loin des quand dira t’on.
Ils conduisent à
tour de rôle sa voiture, il met régulièrement sa main sur sa cuisse, c’est
doux. Se sentir aimée, quelle sensation délicieuse.
Ils commencent à
aborder des sujets délicats car ils savent que leur histoire est sérieuse. Un
jour il aura envie d’enfants, elle ne pourra pas les lui donner.
Il dit qu’il n’en
ressent pas le besoin.
Cette parenthèse
loin de tout est un moment qui restera à jamais gravé dans les souvenirs
d’Estelle.
Le parc des loups
où il prend des photos magnifiques.
La soirée dans ce
petit village perdu où tout le monde est devant son écran de télé pour assister
à la finale de la coupe du monde de foot. Ils finissent par trouver un endroit
où manger un sandwich, ils sont seuls en terrasse, seuls dans les rues, et
seuls au monde.
Quand ils
comprennent que la France a gagné ils regagnent vite leur hôtel pour échapper
aux explosions de joie. Sans doute sont-ils les deux seuls à ne pas avoir
participé à cette liesse, mais leur liesse à eux est aussi intense.
Le lendemain ils
décident d’aller voir le parc des bisons, mais ils s’arrêtent en route et font
l’amour dans l’herbe au bord du chemin. C’est doux et tendre.
Il faut prendre la
route du retour, fin de la parenthèse enchantée.
Yann repart au
petit matin laissant Estelle pleine d’amour et d’interrogations, de doutes.
Le week-end
suivant elle va le voir chez lui, il est de garde.
Elle est sensée
être une cousine. Il ne veut pas de commentaires de ses collègues sur la
différence d’âge. Pas très flatteur pour elle.
Forcément elle le
voit peu, il est appelé souvent. Elle n’est pas dans son environnement, elle
est un peu perdue.
La prochaine fois
c’est lui qui vient, dernière rencontre avant qu’Estelle ne parte en vacances.
Le dernier soir il
lui fait l’amour comme s’ils ne devaient plus se revoir, il y a de la tristesse
dans cette étreinte, mais toujours autant d’amour et de fougue.
Cette fougue qui
émeut tant Estelle, qui sait qu’elle est due à sa jeunesse et qui a peur de ne
plus retrouver ça auprès d’hommes de son âge.
Estelle et Brice
partent dans leur nid d’aigle dans les montagnes pyrénéennes.
Elle sait que ce
mois sera long et douloureux pour elle, qu’elle se retrouvera face à ses questions,
qu’elle doutera tous les jours.
Estelle n’est pas
jalouse, elle ne l’a jamais été. Mais là, il est si jeune, si beau, il doit
attirer tant de regards. Son corps à elle a vécu, il a porté un enfant, il
n’est plus parfait comme il a pu l’être. Et puis son âge est là. Bientôt 42
ans. Elle se le répète trop souvent jusqu’à douter de pouvoir plaire à un si
jeune homme.
La présence d’amis
venus les rejoindre quelques jours l’apaisera peu, d’ailleurs ils la trouvent
absente.
Elle vit au rythme
des coups de téléphone, les provoque le plus souvent, trop souvent sans doute.
Son téléphone
portable ne la quitte pas, mais bien souvent il n’y a pas de réseau. Elle
vérifie en permanence si « ça capte ».
Autour d’elle
quelques amis sont au courant de « son histoire », personne ne fait
de commentaire.
Les amis qui les
avaient rejoints repartent.
Yann n’est pas
très bavard au téléphone. Ce n’est pas du désamour, c’est simplement sa nature,
il est réservé. Et puis c’est l’été, il est souvent sur le front.
Petit à petit elle
n’est plus sure d’être aimée et pense provoquer un électrochoc chez lui en lui
disant qu’elle préfère en rester là.
Elle espère qu’il
la retiendra par ses paroles.
Il n’en est rien,
Yann prend cet appel en pleine poitrine, elle le sent bien, mais ne dit rien,
il l’accepte.
A partir de ce
moment Estelle ne pense qu’à reconquérir celui qu’elle a éloigné dans un accès
d’inquiétude.
Il ne rappelle pas
comme elle l’espère tant.
Elle le rappelle,
lui dit qu’elle s’est trompé, qu’elle ne voulait pas en arriver là.
Il n’y croit plus,
elle a tout cassé, tout brisé.
Yann est l’homme
d’une seule parole.
Elle part avec
Brice et un copain de Brice dans une location dans l’Aveyron, afin que Brice et
son copain puissent s’amuser et qu’elle puisse rendre visite le plus souvent
possible à son meilleur ami qui passe ses vacances non là de là.
Elle écrit des
lettres fleuves pour reconquérir le cœur de Yann tout en sachant qu’elle a
perdu, qu’elle s’est sabordée.
Quelquefois elle
l’a au téléphone, il est froid, distant, ironique.
Elle souffre.
A leur retour elle
lui demande de pouvoir venir le voir, il ne veut pas, la rejette.
Il acceptera
qu’elle vienne un week-end pour « discuter » mais il reste toujours
lointain.
Ils dorment dans
le même lit. Ils font l’amour par désir. Yann le regrette, comme s’il avait
trompé quelqu’un.
Elle, elle a
savouré cette étreinte comme un condamné savoure sa dernière cigarette.
Estelle mettra des
mois à tourner la page.
Elle ne saura
jamais s’il a souffert.
Ils se sont
téléphoné de temps en temps, Estelle a pensé qu’elle garderait un ami. Elle y a
cru quelquefois, quand lui l’appelait. C’était rare.
Elle l’a revu une
fois, après lui avoir demandé si elle pouvait passer puisqu’il était sur sa
route.
Estelle s’est
laissée aller physiquement, il revoit une femme avec des kilos en trop qu’elle
porte comme un fardeau. Ils ne savent pas que se dire, il ne lui offre rien,
elle ne reste pas longtemps.
La page est
tournée mais régulièrement Estelle se demande où ils en seraient si elle avait
été plus patiente, moins inquiète, si l’histoire avait continué.
Puis un jour elle
apprend qu’il a un enfant, et là elle sait que même si elle a souffert, même si
elle s’y est très mal prise, elle a bien fait de saborder l’histoire.
Surtout qu’Estelle
est heureuse avec quelqu’un qui lui a fait oublier combien elle a souffert
quand le père de Brice est mort, combien elle a souffert quand sa brève
histoire avec Yann s’est terminée.
Quelqu’un qui est
le troisième homme qu’elle ait vraiment aimé, et qu’elle veut aimer jusqu’à la
fin de a vie.
Estelle n’a plus
qu’un souhait : garder l’amitié de Yann, une amitié simple et sincère,
sans équivoque.
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