On croit certaines choses immuables, jusqu’à ce que l’on se
rende compte qu’elles ne le sont pas.
Pierre, nous nous sommes connus au lycée, surtout parce que
nous avions un ami commun, Jean.
Nous avons passé tous les trois le baccalauréat la même année.
Nous l’avons réussi tous les trois.
Fin 1974, nous étions tous les trois étudiants à Aix, chacun
dans notre filière.
Nous nous voyions assez régulièrement.
Pierre, tu as rencontré Marie, je ne l’ai pas connue tout de
suite. Tu étais très discret au sujet de tes histoires de cœur.
Puis, installés tous les trois dans la vie active, Jean a
provoqué une rencontre entre nous tous : lui, mon mari et moi (je me suis
mariée tôt), et Marie et toi.
Nous nous entendions bien et nous voyions assez régulièrement,
de plus en plus sans la présence de Jean.
Nous avions chacun pris des chemins de vie différents.
Jean s’est adonné à sa passion, l’aviation, qui lui a coûté
la vie plus tard.
Mon mari et moi nous travaillions tous les deux, par
forcément dans les domaines que nous aurions souhaité, mais cela nous
permettait de vivre dignement.
Tu as toi aussi trouvé du travail dans un domaine qui te
plaisait, et Marie n’a pas souhaité travailler.
Ce choix m’a surprise, moi qui tiens tant à mon indépendance
et n’aurais pas supporté de dépendre financièrement de quelqu’un, fusse t’il
l’homme que j’aimais.
Nous avons eu des enfants, à peu près en même temps, comme
la plupart de nos anciens amis de lycée d’ailleurs.
Les enfants resserraient nos liens. Ils s’entendaient bien,
nous aussi. Nous avions un réel plaisir à passer des moments ensemble.
Les enfants ont grandi. Le père de mon fils est décédé
accidentellement. Nos vies évoluaient.
La mienne était un peu décousue. Pas facile de se retrouver
seule avec son fils adolescent. Pas facile d’accepter cette solitude. Je me
suis un peu perdue dans des activités, des amours, des errances.
Vous ne m’avez jamais jugée, d’autres l’ont fait.
Vous m’avez toujours accueillie, invitée, vous avez toujours
été là pour moi.
Fin 2005, alors que je rencontrais le bonheur, la personne
qui allait me faire passer de cette vie sans fil conducteur à une stabilité qui
me manquait tant, vous viviez un malheur innommable, la perte de votre fille.
J’ai essayé d’être là, peut-être pas autant qu’il l’aurait
fallu. Je changeais de vie, de lieu de vie, je redécouvrais la vie avec de jeunes enfants, ceux de Paul.
Paul et toi, vous vous êtes tout de suite bien entendus.
Je crois que Paul te faisait rire, et que ce rire te faisait
du bien.
Avec Marie, nous nous voyions de temps en temps toutes les
deux. Je sentais que nos aspirations divergeaient. Marie était une femme
d’intérieur avec des occupations extérieures de loisirs. J’étais une femme qui
travaille et qui en plus de son travail aimait avoir des occupations
militantes. J’ai toujours été militante. Je n’étais pas forcément tolérante
avec ceux qui s’investissaient moins dans la défense des autres.
Mes confidences, je
les faisais à mes frères de cœurs, qui sont rentrés dans ma vie en 1987 et en
1994, et avec qui un réel lien fraternel s’est noué très vite, sans que l’on
puisse l’expliquer tellement nous étions différents et ils étaient différents entre
eux. J’ai toujours ressenti, sans doute parce qu’ils ont eu eux aussi des vies
en dents de scie, qu’ils me comprenaient vraiment, et que leur écoute n’avait
pas d’équivalent.
Nous avons pris des habitudes. Nos samedis soirs chez vous,
la plupart du temps après une journée chez maman, où nous redevenions plus
légers, ou nous discutions, où nous riions.
Et puis les réveillons que l’on passait ensemble, chaque
année en un lieu différent.
J’avoue qu’ils m’ont comblée un temps, puis m’ont
quelquefois un peu pesé. Cette impression bizarre de n’être pas calés sur les
mêmes fuseaux horaires, de n’avoir pas les mêmes aspirations. Et, pour moi, une
détestation de plus en plus appuyée de ces « moments photos » obligés
qui devenaient pour moi des corvées à la limite du supportable.
Ces réveillons se sont arrêtés brusquement, et ont généré un
malentendu qui a fait ressortir en moi un certain ressentiment. Un ressentiment
certain.
Je l’ai écrit. Un peu dans la colère. Mes écrits ont été mal
perçus. Ceux que j’ai reçus en retour m’ont fait mal. J’ai touché du doigt
l’incompréhension qui avait grandi entre nous.
Je me suis blessée, et vous vous êtes inquiétés pour moi.
Cela m’a touchée. J’ai cru qu’une autre forme de relation serait possible.
Puis je n’ai rien vu venir, je ne savais pas quoi faire de
mon côté.
J’ai lancé des bouteilles à la mer via les fameux réseaux sociaux,
où notre façon de nous y exprimer était diamétralement opposée.
J’ai écrit à
nouveau, en essayant de me modérer, mais
ce n’est pas mon fort, pour dire mon incompréhension. Et là j’ai compris que
cette incompréhension était bien réelle, et pas que dans ma tête. Que Marie
était ancrée dans ses certitudes, blessée sans doute, mais ne souhaitant pas
apaiser ces blessures.
Alors j’en ai parlé une dernière fois avec Paul, et nous en
avons conclu que notre amitié n’était pas faite pour durer une vie entière. Que
nos évolutions différentes n’étaient sans doute pas compatibles.
Fin d’une histoire. Regrets ? Je ne sais pas. Je ne
crois pas. De toute façon ils ne servent plus à rien.
La vie continue. Chacun notre chemin. Ils ne sont
apparemment plus appelés à se croiser.
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