Nous étions au collège ensemble, de 1969 à 1971.
Il avait beaucoup d’humour, c’était un « amuseur ».
Les entremetteuses me disaient que je lui plaisais beaucoup,
et je ne pouvais l’ignorer par ses regards, ses blagues à mon attention.
Il me faisait beaucoup rire, mais ne m’attirait pas par son
physique.
Après le brevet des collèges, je suis allée au lycée
« normal », il est allé au lycée technique.
Mais des relations communes faisaient que l’on avait
l’occasion de se voir, d’avoir des nouvelles l’un de l’autre.
Je recevais des cartes postales pendant les vacances. Avec des
sous-entendus à peine cachés.
Il faisait de la photo au club photo de Salon.
Il m’a photographiée plusieurs fois. Il m’a offert des
portraits de moi que j’ai toujours. De beaux portraits.
Il a pris des photos lors de mon mariage, me les a faites
parvenir. Il s’est éclipsé. Je n’ai plus eu de nouvelles de lui.
J’ai su, Salon est une petite ville, qu’il avait eu un
accident où une personne avait trouvé la mort. Il conduisait.
Le temps a passé. Je ne pensais plus à lui.
Un soir d’avril 2000 mon téléphone sonne. Je suis dans
l’annuaire, toujours au même nom. C’était lui. Surprise totale.
J’étais avec Daniel, mon ami/frère, nous partions pour voir
Christophe Alêvèque à Port de Bouc.
Je suis contente de l’entendre et lui promets de le rappeler.
A mon retour, il est aux alentours de minuit, la curiosité me
taraude et je le rappelle.
Nous parlons longtemps, nous racontons nos vies respectives
depuis que nous nous sommes perdus de vue.
Nous nous fixons un rendez-vous pour un dîner.
Je suis troublée. Empêtrée dans une histoire avec « mon
écossais de l’Aveyron » (Histoire que j’ai racontée dans un chapitre de ce
blog). Je ne sais pas où j’en suis avec lui, je ne sais pas où il en est avec
moi, je sais de toutes façons que la distance rend cette histoire difficile.
Au rendez-vous fixé, à une terrasse istréenne, je le reconnais
immédiatement, 24 ans plus tard.
Un peu dégarni, lui qui avait des cheveux longs et bouclés, plus
« en chair », lui qui était tout mince. Une allure décontractée, que
je sens quand même étudiée, et qui lui va bien.
La soirée dure des heures, et son humour est toujours aussi
présent.
Il me raconte : son mariage et ses enfants, mariage qui a
mal tourné puisqu’il est en plein divorce, et pas à l’amiable du tout. Sa
carrière militaire (je ravale ma surprise, ne laisse rien paraître, moi qui
n’ai jamais aimé l’armée), sa retraite de cette carrière et son nouveau métier
de moniteur d’auto-école qui lui plait beaucoup.
Il me touche en me disant que chaque fois qu’il avait
l’occasion de passer dans le quartier où j’habitais à Salon, il espérait m’y
croiser. Il pensait encore à moi depuis tout ce temps, moi qui l’avais oublié.
Après avoir discuté encore longtemps près de ma voiture, nous
nous promettons de nous revoir rapidement.
Et il ne tardera pas à me rappeler pour me proposer une visite
du château d’If, moi qui suis née à Marseille et n’y suis jamais allée.
Nous passons une journée ensemble très agréable. J’ai
l’impression vague d’être un peu sous le charme, mais je ne sais toujours pas
où j’en suis. L’écossais…
Pour lui, pas de doute, il n’attend qu’une chose : que je
fasse un pas vers lui, pas qu’il ne s’autorise pas à faire. Je ne lui ai rien
dit sur ma situation sentimentale et un mystère plane pour lui.
Je pars quelques jours à Paris, un peu pour Amnesty, un peu
pour le plaisir.
L’écossais m’appelle, comme il le fait à peu près tous les
jours. Il a revu son ex, cela s’est mal passé. Il me plait énormément mais il
est tellement plein d’interrogations que cela me fatigue. Je ne vois pas
d’avenir, ou alors compliqué.
Un jour, par un temps idéal, je suis à une terrasse au bout de
la rue St Louis en l’île. Un groupe québécois s’installe et se met à chanter à
jouer.
J’ai une passion pour le Québec que personne autour de moi
n’ignore. Nous avons parlé ensemble. Il m’a dit qu’il avait envie d’y aller, et
pourquoi pas avec moi.
Je lui envoie un texto pour partager ce bien-être à cet
instant. Il y répond immédiatement, tendrement.
Je pense à lui le restant de la soirée.
Arrivée à mon hôtel, je l’appelle. Je lui demande :
« qu’est-ce qui nous arrive ? ». Il me répond qu’il ne sait pas
mais que c’est très agréable.
Dans ma tête je sais maintenant que P l’écossais est passé
derrière P le provençal.
Il suffit quelquefois de quelques instants pour qu’une
évidence se fasse jour.
Les vacances d’été approchent.
Joan sera majeur à la fin de l’année et ne partira sans doute
plus en vacances avec moi, alors nous avons choisi, pour nos dernières vacances
communes, d’aller à Amsterdam.
Quelques jours délicieux. D’ailleurs nous avons recommencé
depuis pour fêter ma retraite.
Je pars quelques jours dans l’Aveyron, d’abord chez Daniel,
puis chez l’écossais. Nous avons déjà discuté de la situation par téléphone, et
P sait où je vais, un peu inquiet sans doute.
Je ferme la parenthèse écossaise, elle restera un beau
souvenir et nous resterons longtemps en contact.
Puis P m’emmène voir Tina Turner à Paris, au stade de France.
Je ne suis pas fan, lui oui. A vrai dire je ne la connais quasiment pas. Grand
show comme je ne les aime pas trop, mais lui est ravi.
Nous baladons 2 ou 3 jours dans Paris. Main dans la main, mais
dans la chambre commune nous sommes sages. Je suis un peu déroutée.
Nous partons ensuite quelques jours dans mes Pyrénées. Pas
dans ma maison, qui était encore celle de mes parents. Je n’ai pas encore envie
de parler de « cette histoire ».
C’est donc à Font Romeu que se concrétise ce que je n’ose pas
encore appeler de l’amour de mon côté. Pour lui je sais que s’en est.
Je suis bien, cette tendresse, notre complicité me font un
bien fou.
La rentrée. Des appels quotidiens, des textos plusieurs fois
dans la journée. Nous nous voyons quasiment tous les week-end et quelquefois
les soirs de semaine. Il est à 45 minutes de chez moi.
Il m’a emmenée chez ses parents, des gens extrêmement gentils.
Je connais ses deux fils.
Avec l’ainé, il a des relations un peu tumultueuses. B est un
peu marginal, un peu border line. Je l’aime bien, un peu pour ça.
N a subi une grave intervention à la naissance. Il va bien
mais est surprotégé. Trop à mon avis.
Les conseils que j’essaie de donner ne sont pas appréciés. Je
n’en donne plus et évite les moments où il est avec lui.
P n’est pas avare de preuves d’amour, de projets à court
terme, mais ne parle jamais d’avenir plus lointain.
Son divorce se passe très mal. Encore une ex qui ne supporte
pas que celui qu’elle a laissé soit à nouveau heureux.
Elle apprend, par un mot malheureux de ma part devant N, que
l’on se connait depuis le collège, et va jouer de cela pour plaider sa cause au
cours du divorce.
Grace à cela je vivrai l’expérience du détective privé (pas
doué, il se trompe sur ma voiture, sur la moto de P…), et celle du constat
d’adultère au petit matin. P ayant gardé momentanément la maison conjugale, le
fait qu’il y accueille quelqu’un dans son lit le rend coupable d’infidélité.
J’insulte l’huissier qui fait un boulot minable. Mais en fait
il fait son boulot.
Je ne sais pas où va notre histoire, il ne parle jamais de
l’après.
Et au fond de moi je sais que nous sommes très différents. Je
suis engagée syndicalement et politiquement, pas lui. Et je sais que nos idées
divergent, pas de discussion envisageable.
Il est un peu vieille France, m’ouvre la portière de la
voiture, et moi je revendique mon statut de femme libérée.
Ce sont ces vagues questionnements qui font qu’un jour d’automne,
alors qu’il est au salon de l’auto à Paris, je me laisse aller à une aventure
avec un charmant bas-alpin.
L’aventure durera quelques week-end. J’en informe P. Il est
très malheureux au point de me dire un jour qu’il va prendre sa moto et rouler
à tombeau ouvert.
Sa douleur me touche. Fin de la parenthèse avec M.
Il a compris que j’avais besoin d’un peu de certitude sur
l’avenir. Je suis invitée au mariage de ses cousins, présentée à la famille au
complet.
Début 2001 nous préparons notre voyage au Québec.
Nous ferons ensemble un magnifique périple qui nous mènera
jusqu’à Natashquan. Il est tombé sous le charme de la Belle Province, et moi
encore un peu plus.
Ce sera sans doute le plus beau souvenir de notre histoire.
P s’incorpore au cercle de mes amis très facilement, il est
accepté et apprécié.
Daniel, ancien objecteur de conscience, ne saura jamais qu’il
a été militaire, je crains trop de casser le lien.
Je suis moins incorporée à son cercle car plus réticente. Leur
goût commun pour les véhicules à moteur me laisse de marbre.
P et son ex-épouse vendent la maison conjugale.
Les relations entre eux sont tellement tumultueuses que je
préfère ne pas en entendre parler.
P récupère la garde de son fils N et va habiter un peu plus
loin, à 1h30 de chez moi.
J’avais émis l’idée que nous cohabitions quelques temps avant
qu’il ne choisisse une nouvelle adresse, il n’y a jamais répondu. Et moi
j’avais besoin de cette « expérience ».
Je le vois moins car N est souvent chez lui et l’accapare
trop.
A l’automne, à nouveau, je me laisse tenter par un charmant
nîmois. Cette fois il y a au fond de moi un petit esprit de revanche.
Je lui dis, il est à nouveau très malheureux. Ses amis
m’appellent pour me le dire.
De toutes façons D n’était vraiment qu’une passade, pas de
sentiments.
P me reprochera souvent mes deux incartades, et je lui
répondrai chaque fois que s’il était plus clair sur l’avenir elles n’auraient
pas eu lieu.
Notre histoire continue, mais cette fois j’ai la certitude que
ce ne sera pas l’histoire de la suite de ma vie.
Nos meilleurs moments sont ceux que l’on passe loin du
quotidien, dans des décors différents.
Nos deux semaines irlandaises à l’été 2002 se passent à
merveille. Un autre très bon souvenir.
Mais au retour je ne tarderai pas à lui dire que pour moi
l’histoire d’amour s’arrête. Il peut rester l’histoire d’amitié.
Et, effectivement, elle reste, nous pouvons même dire que nous
sommes devenus des « sex friends » puisque le désir est toujours
présent quand nous nous voyons.
Mais cela n’a qu’un temps.
Je récupère mes affaires qui étaient dans sa salle de bains.
Quand il s’en aperçoit il me demande pourquoi, en pleurant.
J’ai besoin d’une liberté totale. Cette relation bizarre
m’empêche de me sentir totalement libre.
Il est licencié. Il décide de chercher du travail plus vers la
côte.
Nous nous téléphonons de temps en temps, nous donnons
rendez-vous de temps en temps pour un café ou un déjeuner, ici ou ailleurs.
Il est très mystérieux sur sa nouvelle vie. Je sais qu’il a
déménagé mais ne me dis rien de sa nouvelle résidence.
Je comprends qu’il n’est plus seul et qu’il me voit en
cachette. Je ne comprends pas pourquoi l’on se voit encore, mais c’est lui qui m’appelle,
en numéro masqué. C’est donc lui qui a envie que l’on se continue à se voir.
Son mystère m’agace, je me moque qu’il soit en couple ou amoureux d’une autre.
Je rirai beaucoup lorsqu’il me montre sa nouvelle voiture et
que je vois une peluche accrochée au rétroviseur, lui qui ne supportait pas que
quoi que ce soit traine dans sa voiture…
A l’automne 2005, j’ai la chance de rencontrer Philippe après
des histoires sans grande importance et principalement parisiennes puisque mes
activités associatives et militantes font que je suis une partie de la semaine
à Paris.
P m’appelle alors que je fais des courses avec les enfants de
Philippe. Je lui parle de ma rencontre, de ma nouvelle vie qui se dessine, et
je lui dis que j’habite Simiane.
Et je n’ai plus jamais de nouvelle.
Je saurai peu de temps plus tard qu’il habite, à vol d’oiseau,
à quelques petits kilomètres de chez moi.
Et je comprends qu’il craint que l’on se croise. Moi cela
m’est égal, Philippe est au courant. Mais apparemment pas la nouvelle élue de
son cœur. Cela m’amuse.
De fait, je l’ai aperçu quelquefois dans la voiture d’une
auto-école de Gardanne. Je l’ai même vu passer dans ma rue.
Je l’ai trouvé vieux, son charme n’a plus aucun effet sur moi,
et je n’éprouve pas une once de nostalgie.
Puis l’âge de la retraite a dû sonner pour lui.
Récemment je l’ai vu à un arrêt de bus. Si j’avais été seule,
je me serais arrêtée puis qu’il allait à priori à Aix comme moi. Cela m’aurait
amusée. M’aurait peut-être éclairée sur son silence brutal, même si je pense en
connaître les raisons.
Ça a été une page de ma vie, que je ne regrette pas.
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