Il y avait bien longtemps que nous n’étions pas allés à l’Isle
sur la Sorgue.
Je savais que Renaud enregistrait un disque de reprises, et qu’il
n’était donc certainement pas dans le Sud. Puis j’ai vu une photo très récente
de lui dans le cadre que je connais bien.
Cette fois, j’ai préparé une lettre, quitte à la laisser au
patron de son point d’attache, plutôt que de lui griffonner quelques mots au
dernier moment :
« Bonjour Renaud Séchan,
Comme
chaque fois que nous venons déjeuner au Bouchon et que j’ai la chance de vous y
voir, j’en suis heureuse.
Je
vous laisse souvent un petit mot, cette fois j’ai préparé ce courrier en
espérant pouvoir vous le remettre, et sinon le sympathique patron du Bouchon
vous le remettra.
Quand
je vous voyais en concert (une bonne trentaine de fois depuis vos premiers
concerts jusqu’au Phénix Tour), je ne pensais pas pouvoir un jour vous voir
régulièrement, à l’Isle sur la Sorgue. J’étais une fan bien ordinaire, vous me
faisiez rêver par vos textes, vos quelques paroles entre les chansons, par la
ferveur qui se dégageait de cet ensemble de personnes avec qui j’avais un point
commun : vous.
Vos
« merci, infiniment merci » sont gravés dans mon esprit. Car l’amour
de votre public n’était pas feint, vous étiez touché, et c’était touchant.
Depuis
quelques années je viens, accompagnée de mon compagnon qui comprend ce que je
peux ressentir et m’accompagne volontiers. Je n’habite pas très loin, dans un
département voisin. Et quand vous êtes là c’est à chaque fois une émotion
différente. Je ne cache pas que je suis ravie quand il n’y a pas d’alcool sur
votre table, mais je ne vous ai jamais jugé. De quel droit le ferais-je ?
Etant
aussi une écorchée vive, je comprends les faiblesses. Je comprends que vous
avez vécu des instants, des moments qui vous ont marqué et ont pu vous amener à
ces faiblesses.
J’ai
beaucoup lu sur vous, en essayant de faire le tri entre le vrai et le sensationnel.
J’ai vu votre expo à Paris et elle m’a profondément touchée. J’y ai appris
encore de nouvelles choses, de nouveaux évènements de votre vie.
Vos
chansons ont accompagné ma vie, je les connais quasiment toutes par cœur.
Certaines me bouleversent. Votre style me ravit. Elles se rattachent toutes à
certaines périodes de ma vie.
Et
c’est pour ce bonheur que vous m’avez apporté à travers elles, à travers vos
concerts, que je vous remercie, moi aussi infiniment, du fond du cœur.
Je
lisais avec délectation vos billets dans Charlie, je crois que nous partageons
à peu près les mêmes idées, mais vous saviez tellement bien les exprimer. J’ai
beaucoup pensé à vous lors de ce jour noir qui a touché le journal.
Voilà,
vous avez beaucoup compté dans ma vie, et j’espère que vous compterez encore.
Je
vous souhaite de trouver la sérénité, d’avoir des moments de bonheur, de ceux
qui font que la vie est malgré tout toujours belle.
Je ne
vous cache pas que mon rêve fou serait de pouvoir un jour partager un déjeuner avec
vous, parler avec vous. Je suis une grande utopiste, une idéaliste…
Passez
une bonne journée, passez encore plein de beaux moments. Nous sommes tellement
nombreux à tenir à vous.
Je me
permets de vous dire que je vous embrasse, par le cœur, « dans le respect
des gestes barrières ».
Et,
qui sait, peut-être à bientôt.
Guylaine »
Nous sommes passés devant le Bouchon vers 11h30, il était déjà
là. Mon amoureux a réservé la bonne table pour midi, et pendant ce temps je lui
ai remis ma missive.
Il m’a remerciée, l’a tout de suite ouverte et déplié les
feuilles. Ses mains tremblent un peu.
Nous avons fait un petit tour dans cette jolie ville puis nous
sommes revenus pour midi pile.
Renaud était passé à la table à côté, seul. Mais ses comparses
étaient tout près. Il était quasiment face à moi. Le soleil nous chauffait
généreusement.
A un moment donné, nos regards se sont croisés, je lui ai
souri, il m’a souri timidement. Sa timidité est touchante, et étonnante pour
quelqu’un qui a eu souvent des milliers de personnes en face de lui.
Puis un homme de style jeune cadre dynamique est arrivé. Il a « checké »
Renaud, puis les personnes de la table d’à côté, dont celui qui est avec Renaud
une semaine sur deux et à qui je trouve vraiment une bonne tête. Il s’est
installé avec eux.
Renaud les a rejoints, quittant les rayons du soleil pour l’ombre.
Il a enfilé son blouson. Je ne le voyais plus que de dos, ses cheveux bien
coupés et soignés. J’ai détesté cet homme qui le faisait changer de place
!
La discussion est devenue sérieuse, cet homme venait parler
affaires. Il était question de lieux de concerts. Renaud parlait rarement mais
était bien dans la conversation. Il se trame quelque chose…
Comment était Renaud : à peu près comme la dernière fois
que je l’avais vu, où il m’avait si chaleureusement remercié de mes quelques
mots griffonnés. Pas d’alcool. Des cigarettes oui, beaucoup.
Je repars toujours avec des pensées contrastées. Heureuse de l’avoir
vu, heureuse qu’il n’aille pas plus mal, malheureuse de ne pas avoir vu ce
mieux que j’espère tant.
Je n’arrive toujours pas à réaliser que cet homme que j’ai vu
tant de fois sur scène, au milieu de tant de personnes emplies de la même
ferveur que la mienne, je le vois maintenant régulièrement.
Que tant de personnes passent à proximité sans se douter qu’ils
passent à côté d’un grand. Ils ne le reconnaissent pas. Il y a les habitués qui
le saluent en l’appelant Renaud, quelques voitures qui ralentissent pour voir s’il
est là, et puis ceux qui déjeunent à la même terrasse sans s’en rendre compte.
Si l’on m’avait dit cela du temps où il remplissait des Zénith
et où j’étais portée par la joie de le voir chanter devant moi, je n’y aurais
pas cru.
La vie est bizarre.
Je retournerai voir Renaud !
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