4 avr. 2023

Maman

 

Tant que vous étiez deux, je vivais sereine, même si vous avez eu des problèmes de santé. L’opération à cœur ouvert de papa en 1995 a été une grosse épreuve, que nous avons traversée à trois. Papa a gardé un traitement contraignant (anticoagulant) mais vous avez pu vivre normalement.

Vous aviez une vie tranquille, la promenade de papa au village tous les matins, les courses ensemble, le jardin pour toi, le bricolage pour papa.

Tous les deux ou trois mois vous faisiez un séjour dans vos maisons des Alpes ou des Pyrénées, vous y emmeniez Joan quelquefois.

Et puis, une ou deux fois par an, une grande balade en France, Alsace, Bretagne, Normandie. Papa aimait conduire et vous aviez une voiture confortable.

On se voyait régulièrement. J’essayais de ne pas trop vous laisser vous immiscer dans ma vie, qui a connu des moments chaotiques… Papa ne pouvait pas s’empêcher de faire des commentaires sur ce qu’il pensait d’untel ou untel…

Quand, en 2007, je me suis mariée avec Philippe, papa, tu as été heureux. Tu étais rayonnant. Il avait gagné ta confiance.

En 2009, après une malheureuse chute de papa qui était sous anticoagulants, des problèmes sont survenus. Les 2 opérations tentées n’ont pas pu sauver papa. Il est parti le 17 août.

J’ai beaucoup appréhendé ton veuvage. C’était toi qui « régnais » à la maison, mais papa était plus le moteur pour les sorties. Papa était plus urbain, moins réservé, il aimait voir du monde. J’ai eu peur que tu te renfermes sur toi et ton intérieur.

Mais tu étais encore très en forme, tu te débrouillais seule pour quasiment tout. Nous venions te voir tous les 15 jours et tu nous recevais toujours avec trop. Nous pouvions parler de tout avec toi. Ta mémoire était active.

Tu participais aux lotos du 3ème âge, tu prenais le bus pour te balader à Salon. Nous avons fait quelques voyages organisés ensemble (c’était vraiment pour toi, car ce n’est pas du tout mon truc).

Avec moi tu as enfin accepté de prendre l’avion pour la Turquie, et tu avais l’air heureuse de cette expérience que tu avais toujours refusée à papa.

Puis, un samedi où, comme souvent, nous venions te voir tous les 3, nous t’avons trouvée changée, fatiguée, un peu ailleurs.

Nous l’avons remarqué tous les 3 et nous avons partagé nos impressions. On s’est dit que c’était passager.

Mais les autres samedis ne nous ont pas rassurés. Tu préférais souvent prendre des plats tout prêts ou nous inviter au restaurant. Tu étais moins vive.

J’ai commencé à avoir des frayeurs quand je t’appelais au téléphone et que ni le fixe ni le portable ne répondaient. Quelquefois j’ai fait appel aux voisins.

En 2017, nous étions dans les Rocheuses canadiennes quand je suis restée presque une journée sans nouvelle. Inutile de dire que cette journée a été un peu gâchée.

Tu as accepté d’aller un mois en maison de retraite quand nous partions loin, et c’est ce que nous avons fait en 2018 et 2019. Tu disais que tu allais en colonie de vacances.

Mais rester seule chez toi, dans une grande maison un peu à l’écart du village, avec des escaliers, cela devenait risqué. Le bip d’alarme m’a prévenue deux fois que tu étais aux urgences parce que tu étais tombée.

Sur le principe tu as été d’accord pour intégrer une résidence sénior, et j’ai cherché sur Aix. J’ai trouvé, et, avec Joan nous sommes allés visiter l’endroit, tous les 3. Tu trouvais que c’était « trop bien pour toi ».

Tu as été sur une liste d’attente, et, un jour de septembre 2019, alors que nous étions dans le TGV avec Joan pour aller à la fête de l’Huma, la directrice nous a appelés pour nous dire qu’une place t’attendait !

Quand nous te l’avons annoncé, tu n’étais pas ravie…

Mais ça s’est fait. En novembre 2019 tu rentrais dans ton tout petit appartement.

Cela m’a fait bizarre de te laisser là le soir, mais j’étais rassurée !

Le plus dur a été l’année 2020, où nous devions débarrasser ta maison pour la mettre en vente.

Tu étais tellement attachée à tous les objets… Tu ne comprenais pas qu’ils ne puissent pas se vendre cher. Ils avaient une grosse valeur sentimentale pour toi, mais peu de valeur marchande.

Nous avons essayé de tout faire avec Philippe et Joan, et des amis qui nous ont aidé. Tu voulais venir avec nous, mais c’était tellement dur quand tu y étais. Tu passais des heures avec chaque objet et rien n’avançait. Nous avons récupéré quelques meubles, Joan aussi. Puis la Croix-Rouge est venue tout vider.

En octobre 2020 la maison était vendue à un couple sympathique qui attendait son 3ème enfant.

Au début, je venais te voir le plus souvent possible, nous allions déjeuner dehors.

Mais peu à peu les conversations me sont devenues de plus en plus pénibles. Tu vivais dans le passé, parlant de plus en plus de ta maison natale, vendue en 2016.

J’ai espacé les visites. Joan venait de temps et temps et nous passions des moments à quatre. Moments difficiles car j’étais la cible de tes reproches, la responsable de la vente de tes maisons, de ton « enfermement » dans ce lieu où tu n’étais pas propriétaire.

La façon dont les biens matériels prenaient le pas sur les personnes me devenait insupportable. Il y a eu beaucoup de moment où je t’en ai voulu. Jusqu’à ce que j’arrive à admettre que tu n’étais plus toi, plus la même…

Ta mémoire partait à vitesse grand V. Je te demandais de noter, tu ne le faisais pas.

Tu as fait des chutes, passé des journées aux urgences.

Et puis, là, en 3 jours tu es tombée deux fois.

La deuxième fois c’est l’infirmière qui t’a trouvée par terre alors que je cherchais désespérément à te joindre.

Tu n’avais plus d’équilibre, elle a appelé les pompiers.

Je suis venue aussi vite que possible. Philippe m’accompagnait. Quand je t’ai vue avec les pompiers j’ai eu peur de te voir pour la dernière fois.

Tu es restée une semaine à l’hôpital, tu tenais mieux sur tes jambes, mais ta mémoire…

Maintenant tu es provisoirement en maison de repos et de rééducation.

Je viens t’y voir. Tu es en boucle sur le passé. Tu ne sais plus qui est décédé ou pas. Tu me poses des questions incongrues.

J’essaie de me dire que c’est comme ça, que c’est la vie…

Le 20 avril tu retournes dans ta résidence sénior. Comment cela va-t-il se passer ? J’essaie de vivre tout ça au jour le jour. De me faire à l’idée que maman n’est plus qu’une vieille personne dont il faut s’occuper.

Je suis arrivée deux ou trois fois à te dire je t’aime… Bien sûr que je t’aime.

  

 

 

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