Tant que vous étiez deux, je vivais sereine, même si vous avez
eu des problèmes de santé. L’opération à cœur ouvert de papa en 1995 a été une
grosse épreuve, que nous avons traversée à trois. Papa a gardé un traitement
contraignant (anticoagulant) mais vous avez pu vivre normalement.
Vous aviez une vie tranquille, la promenade de papa au village
tous les matins, les courses ensemble, le jardin pour toi, le bricolage pour
papa.
Tous les deux ou trois mois vous faisiez un séjour dans vos
maisons des Alpes ou des Pyrénées, vous y emmeniez Joan quelquefois.
Et puis, une ou deux fois par an, une grande balade en France,
Alsace, Bretagne, Normandie. Papa aimait conduire et vous aviez une voiture
confortable.
On se voyait régulièrement. J’essayais de ne pas trop vous
laisser vous immiscer dans ma vie, qui a connu des moments chaotiques… Papa ne pouvait
pas s’empêcher de faire des commentaires sur ce qu’il pensait d’untel ou untel…
Quand, en 2007, je me suis mariée avec Philippe, papa, tu as
été heureux. Tu étais rayonnant. Il avait gagné ta confiance.
En 2009, après une malheureuse chute de papa qui était sous
anticoagulants, des problèmes sont survenus. Les 2 opérations tentées n’ont pas
pu sauver papa. Il est parti le 17 août.
J’ai beaucoup appréhendé ton veuvage. C’était toi qui « régnais »
à la maison, mais papa était plus le moteur pour les sorties. Papa était plus
urbain, moins réservé, il aimait voir du monde. J’ai eu peur que tu te
renfermes sur toi et ton intérieur.
Mais tu étais encore très en forme, tu te débrouillais seule
pour quasiment tout. Nous venions te voir tous les 15 jours et tu nous recevais
toujours avec trop. Nous pouvions parler de tout avec toi. Ta mémoire était
active.
Tu participais aux lotos du 3ème âge, tu prenais le
bus pour te balader à Salon. Nous avons fait quelques voyages organisés
ensemble (c’était vraiment pour toi, car ce n’est pas du tout mon truc).
Avec moi tu as enfin accepté de prendre l’avion pour la
Turquie, et tu avais l’air heureuse de cette expérience que tu avais toujours
refusée à papa.
Puis, un samedi où, comme souvent, nous venions te voir tous les
3, nous t’avons trouvée changée, fatiguée, un peu ailleurs.
Nous l’avons remarqué tous les 3 et nous avons partagé nos
impressions. On s’est dit que c’était passager.
Mais les autres samedis ne nous ont pas rassurés. Tu préférais
souvent prendre des plats tout prêts ou nous inviter au restaurant. Tu étais
moins vive.
J’ai commencé à avoir des frayeurs quand je t’appelais au
téléphone et que ni le fixe ni le portable ne répondaient. Quelquefois j’ai
fait appel aux voisins.
En 2017, nous étions dans les Rocheuses canadiennes quand je
suis restée presque une journée sans nouvelle. Inutile de dire que cette
journée a été un peu gâchée.
Tu as accepté d’aller un mois en maison de retraite quand nous
partions loin, et c’est ce que nous avons fait en 2018 et 2019. Tu disais que
tu allais en colonie de vacances.
Mais rester seule chez toi, dans une grande maison un peu à
l’écart du village, avec des escaliers, cela devenait risqué. Le bip d’alarme m’a
prévenue deux fois que tu étais aux urgences parce que tu étais tombée.
Sur le principe tu as été d’accord pour intégrer une résidence
sénior, et j’ai cherché sur Aix. J’ai trouvé, et, avec Joan nous sommes allés
visiter l’endroit, tous les 3. Tu trouvais que c’était « trop bien pour
toi ».
Tu as été sur une liste d’attente, et, un jour de septembre
2019, alors que nous étions dans le TGV avec Joan pour aller à la fête de
l’Huma, la directrice nous a appelés pour nous dire qu’une place t’attendait !
Quand nous te l’avons annoncé, tu n’étais pas ravie…
Mais ça s’est fait. En novembre 2019 tu rentrais dans ton tout
petit appartement.
Cela m’a fait bizarre de te laisser là le soir, mais j’étais
rassurée !
Le plus dur a été l’année 2020, où nous devions débarrasser ta
maison pour la mettre en vente.
Tu étais tellement attachée à tous les objets… Tu ne
comprenais pas qu’ils ne puissent pas se vendre cher. Ils avaient une grosse
valeur sentimentale pour toi, mais peu de valeur marchande.
Nous avons essayé de tout faire avec Philippe et Joan, et des
amis qui nous ont aidé. Tu voulais venir avec nous, mais c’était tellement dur
quand tu y étais. Tu passais des heures avec chaque objet et rien n’avançait.
Nous avons récupéré quelques meubles, Joan aussi. Puis la Croix-Rouge est venue
tout vider.
En octobre 2020 la maison était vendue à un couple sympathique
qui attendait son 3ème enfant.
Au début, je venais te voir le plus souvent possible, nous
allions déjeuner dehors.
Mais peu à peu les conversations me sont devenues de plus en plus
pénibles. Tu vivais dans le passé, parlant de plus en plus de ta maison natale,
vendue en 2016.
J’ai espacé les visites. Joan venait de temps et temps et nous
passions des moments à quatre. Moments difficiles car j’étais la cible de tes
reproches, la responsable de la vente de tes maisons, de ton « enfermement »
dans ce lieu où tu n’étais pas propriétaire.
La façon dont les biens matériels prenaient le pas sur les
personnes me devenait insupportable. Il y a eu beaucoup de moment où je t’en ai
voulu. Jusqu’à ce que j’arrive à admettre que tu n’étais plus toi, plus la même…
Ta mémoire partait à vitesse grand V. Je te demandais de
noter, tu ne le faisais pas.
Tu as fait des chutes, passé des journées aux urgences.
Et puis, là, en 3 jours tu es tombée deux fois.
La deuxième fois c’est l’infirmière qui t’a trouvée par terre
alors que je cherchais désespérément à te joindre.
Tu n’avais plus d’équilibre, elle a appelé les pompiers.
Je suis venue aussi vite que possible. Philippe m’accompagnait.
Quand je t’ai vue avec les pompiers j’ai eu peur de te voir pour la dernière
fois.
Tu es restée une semaine à l’hôpital, tu tenais mieux sur tes
jambes, mais ta mémoire…
Maintenant tu es provisoirement en maison de repos et de
rééducation.
Je viens t’y voir. Tu es en boucle sur le passé. Tu ne sais
plus qui est décédé ou pas. Tu me poses des questions incongrues.
J’essaie de me dire que c’est comme ça, que c’est la vie…
Le 20 avril tu retournes dans ta résidence sénior. Comment
cela va-t-il se passer ? J’essaie de vivre tout ça au jour le jour. De me
faire à l’idée que maman n’est plus qu’une vieille personne dont il faut s’occuper.
Je suis arrivée deux ou trois fois à te dire je t’aime… Bien
sûr que je t’aime.
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