4 févr. 2025

Maman

 

J’ai eu la chance de grandir entre deux parents aimants, des parents à qui je n’ai rien à reprocher, même si à l’adolescence il y a eu quelques tensions.

Des parents qui ont toujours fait ce qu’il faut pour moi, sans en faire trop.

Je sais que « fille unique » va souvent avec égoïste, mais mes parents m’ont appris le partage et je ne crois pas avoir les défauts que l’on sous-entend quelquefois derrière cette expression.

Mes parents étaient unis, même si quelquefois le ton s’élevait un peu. Ils ont toujours été là l’un pour l’autre, et l’un pour la famille de l’autre.

A 18 ans j’ai découvert la liberté, même si j’étais assez libre jusque-là.

La fac à 40km avec une chambre que je partageais avec mon amie.  Pas de portable, pas de surveillance. J’en ai profité de cette liberté. Mais je crois que j’étais assez raisonnable pour ne pas aller trop loin, même si maman devinait quand Jean-Jacques m’avait rejointe à Aix…

A 20 ans j’ai pris mon indépendance totale, et j’ai vécu avec l’homme que j’aimais. J’en avais envie de cette indépendance, mais mes parents étaient proches, nos relations étaient bonnes.

Et quand ils sont devenus grands-parents, ils étaient les plus heureux du monde. Et ils ont été très présents pour Joan, l’emmenant en vacances aussi souvent qu’ils le pouvaient.

Je les remercie de ne jamais être allés contre l’éducation que son père et moi lui donnions.

J’ai mené ma vie d’adulte, avec les hauts et les bas qu’elle m’a imposés.

Mes parents n’ont pas toujours compris ma période d’errance entre le décès du père de Joan et la rencontre avec celui qui m’a apporté à nouveau la stabilité. Mais ils acceptaient, je crois qu’ils me faisaient quand même assez confiance. Je sais que papa disait à maman « ne t’inquiète pas pour ta fille, elle est dégourdie, elle sait se débrouiller ».

Mes parents ont vieilli. Papa a eu trop tôt des problèmes cardiaques.

Il est parti des suites de ces problèmes en août 2009.

Ça a été assez rapide, je ne l’ai pas vu trop diminué, et la dernière image que j’ai de lui est un visage souriant. C’est cette image que je garde, ce beau visage sur lequel l’âge n’avait pas fait trop de dégâts.

Maman a été veuve à 78 ans.

Elle a été courageuse et a pris ses marques dans cette nouvelle vie, alors qu’ils n’étaient jamais séparés.

Elle est restée alerte longtemps, elle marchait beaucoup, elle jardinait, c’était son grand plaisir.

L’habitude s’était instaurée de se retrouver chez elle un samedi sur deux, Joan, Philippe et moi. Et je l’appelais quasiment tous les jours.

Elle avait plaisir à nous recevoir et nous préparait ce que l’on aimait. Nous repartions toujours les bras chargés.

Et puis il y a eu un samedi où on l’a trouvée fatiguée.

On s’est dit, pour se rassurer, que c’était momentané. Elle avait 85 ans.

A partir de là nous l’avons vu décliner doucement.

A 88 ans, elle a admis qu’elle ne pouvait plus vivre seule dans une grande maison avec un étage.

Quelquefois elle devait faire appel aux voisins, qui étaient heureusement adorables, parce qu’elle ne pouvait plus tout faire toute seule.

Nous avons la chance de trouver une résidence pour séniors où elle avait son petit appartement mais pouvait prendre ses repas en commun avec les autres résidents, participer aux activités proposées.

Même s’il a été dur pour elle de quitter la maison où elle vivait avec papa, elle s’est tant bien que mal adaptée à cette nouvelle vie, différente.

Et moi j’étais rassurée. Si je ne pouvais pas la joindre, je pouvais toujours appeler l’accueil qui me renseignait.

Peu à peu, elle a perdu pied. Je m’occupais de tout pour elle, les rendez-vous médicaux ou autres. Mais c’était normal pour moi. Elle s’était occupée de moi, les rôles s’inversaient.

Après quelques chutes, des pertes de mémoires de plus en plus fréquentes, et une santé déclinante, j’ai pris une difficile décision, en accord avec Joan et Philippe : il fallait qu’elle soit dans un établissement où l’on s’occupe d’elle.

J’ai visité de nombreuses maisons de retraite dans le secteur. Des très belles que nous ne pouvions pas payer… Et nous avons eu l’immense chance de trouver une place à la maison de retraite publique de Gardanne.

Pour moi, c’était un mélange de culpabilité et de réconfort.

Maman, après quelques réticences, a admis que l’on s’occupait bien d’elle.

Sa mémoire s’est dissipée à grande vitesse.

Petit à petit, elle a revécu dans son enfance. Dans son village perdu qu’elle aimait tant. Nous étions assez déstabilisés par ses propos, puis nous avons compris qu’elle était avec nous dans une autre dimension.

Je disais, quand on me demandait des nouvelles de maman : physiquement elle va bien, mais sa tête est partie ailleurs.

La psychologue de l’établissement m’a aidée à accepter cette évolution vers ce que l’on appelle durement la démence sénile.

Elle était toujours heureuse de me voir, de nous voir. N’avait pas la notion de quand nous étions venus la dernière fois.

Elle a ramené son petit fils à l’état de petit garçon et s’inquiétait beaucoup pour lui. Elle ne me croyait pas quand je lui disais qu’il était adulte et se débrouillait très bien.

Et puis, un dimanche après-midi ensoleillé, on m’a appelée pour me dire qu’on devait l’hospitaliser car elle perdait l’équilibre et était très fatiguée.

Et depuis maman est une autre.

Après un premier passage aux urgences, on a parlé de crise neurologique. Je suis allée la voir au plus vite, j’ai vu une petite vieille dame courbée qui marchait d’un pas très lent.

Deux jours après, nous sommes allés la voir avec Joan. Et l’aide-soignante nous dit que si on voulait la promener un peu elle allait nous aider à la mettre dans un fauteuil roulant. J’ai demandé « elle ne marche plus ? ». Non, elle ne marchait plus.

Un AVC a dû se produire dans la nuit, qui l’a rendue partiellement paralysée du côté gauche.

Heureusement que Joan était là, moi j’étais en morceaux.

Nous avons poussé le fauteuil, essayé de parler un peu, de l’intéresser à diverses choses. Puis nous l’avons ramenée dans le service. Sa tête tombait de fatigue.

On nous a dit qu’on allait lui donner de l’eau gélifiée car elle risque de ne pas pouvoir déglutir normalement.

Heureusement, les deux hommes de ma vie étaient là.

Je n’arrivais pas à croire à ce qui arrivait, à ce qui lui arrivait. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Je suis retournée la voir avec Philippe. Nous avons poussé son fauteuil. Son bras inerte était posé sur un coussin.

Maman ne se plaint pas, le personnel nous dit qu’elle est volontaire pour essayer de manger seule, qu’elle est « sage ».

Effectivement elle ne comprend pas ce qui se passe, pourquoi son état a changé. Mais elle l’accepte et ne se plaint pas.

Et moi je réalise que maman est devenue un être fragile qui peut partir du jour au lendemain.

Elle aura bientôt 94 ans.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire